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Avis | D’horribles allégations d’abus sexuels dans un film ébranlent enfin la France

Depuis trente ans, le silence est mon moteur. Le mois dernier, dans une salle dans laquelle on aurait pu entendre une mouche voler, l’actrice Judith Godrche dénonçait les violences sexistes dont le cinéma français est complice depuis des décennies. Le discours de Godrèche lors de la cérémonie des César, l’équivalent français des Oscars, était à la fois très attendu et inédit, et a suscité une standing ovation. Après des années au cours desquelles le mouvement américain #MeToo a gagné du terrain alors qu’en France il languissait, cet accueil indique que peut-être la culture plus large d’ici est enfin prête à riposter.

Quelques semaines plus tôt, d’abord dans une série télévisée puis dans une série d’interviews, Godrché, aujourd’hui âgée de 52 ans, avait révélé comment, à l’âge de 14 ans, elle avait été soignée et violée à plusieurs reprises par Benot Jacquot, un réalisateur acclamé. Aujourd’hui, plus de 35 ans plus tard, elle a décidé de porter plainte contre le cinéaste. Elle a également poursuivi le célèbre cinéaste Jacques Doillon pour agression sexuelle sur mineure.

Godreche a déclaré qu’être mère d’une adolescente l’avait incitée à reconsidérer son expérience. Ce qui est peut-être le plus frappant de l’histoire, c’est à quel point ce qu’elle a dit était peu d’actualité. La relation de Godrèche avec Jacquot était bien connue au sein de l’industrie; le réalisateur, qui sortira plus tard avec plusieurs autres actrices adolescentes, s’est vanté d’avoir été autorisé à enfreindre la loi, à l’admiration de ses pairs masculins. Même alors, ce qui était considéré comme acceptable en France choquait ailleurs. Lorsque Jacquot a tenté de s’enregistrer dans un hôtel italien avec Godrche, 15 ans, le personnel a menacé d’appeler la police, le forçant à réserver une deuxième chambre.

La France s’est montrée réticente à s’attaquer à son profond problème d’abus sexuels. Les acteurs des arts ont trouvé leurs propres excuses pour glorifier l’image du jeune protégé d’hommes puissants, dont les fantasmes pouvaient être excusés par leur génie. Et l’exception française, contrastant avec le soi-disant puritanisme des États-Unis, offrait un prétexte commode à ces relations.

Lorsqu’en 2017 le mouvement #MeToo a frappé la France, il a été accueilli avec une forte hostilité. Godrche elle-même, qui a vécu aux États-Unis pendant 10 ans, a été l’une des premières actrices à dénoncer les agressions sexuelles d’Harvey Weinstein. Mais dans son propre pays, une centaine de femmes connues, dont Catherine Deneuve, ont publié une lettre ouverte pour soutenir la liberté des hommes de gêner, plaçant la volonté des hommes avant la sécurité des femmes.

Qu’est-ce qui a fait pencher la balance ? En décembre, un documentaire montrant la légende du cinéma Grard Depardieu utilisant de viles insultes sexistes (y compris envers un enfant) et affichant un comportement inapproprié envers les femmes a suscité l’indignation en France. Pendant des années, l’acteur, qui fait l’objet d’une enquête pour viol et accusé par 13 femmes d’agression sexuelle ou de viol, n’a subi que des atteintes mineures à sa réputation. Depardieu, niant ces allégations, affirme qu’il n’a jamais abusé d’une femme. Mais l’attitude montrée dans le documentaire ne pouvait être ignorée. Cette fois, lorsque 50 célébrités ont publié une lettre ouverte pour défendre sa personnalité unique et extraordinaire et que le président français Emmanuel Macron a félicité Depardieu d’avoir rendu la France fière, la réaction a été sévère. Huit mille artistes, dont moi-même, ont signé une pétition en soutien aux victimes. En conséquence, plusieurs célébrités ont retiré leur signature en faveur de Depardieu.

Menée par une jeune génération, la France semble enfin prête pour son moment #MeToo. Mais de nombreuses femmes ont dû s’exprimer pour que cette conversation nationale puisse commencer.

Le premier à briser le silence sur les violences sexuelles dans le cinéma français fut Adle Haenel, qui en 2019 a révélé qu’en tant qu’enfant actrice, elle avait été agressée sexuellement par un cinéaste. La même année, l’actrice franco-sénégalo-ivoirienne Nadge Beausson-Diagne affirme avoir été violée par un cinéaste camerounais en Centrafrique. En 2020, l’auteure Vanessa Springora a décrit avoir été piégée à l’âge de 14 ans dans une relation abusive avec le romancier Gabriel Matzneff, alors âgé de 50 ans. Toujours en 2020, la patineuse artistique Sarah Abitbol a révélé qu’elle avait été régulièrement violée par son entraîneur lorsqu’elle avait 15 ans. L’année suivante, le best-seller de Camille Kouchner, La familia grande, a provoqué une prise de conscience nationale sur l’inceste. Cet élan a ouvert la voie à une nouvelle loi renforçant les protections des mineurs victimes d’agressions sexuelles.

Même cela n’a pas créé la révolution nécessaire. Il y a quatre ans, Haenel sortait de la cérémonie des César en criant : Dommage ! Vive la pédophilie ! lorsque Roman Polanski, aujourd’hui âgé de 90 ans, qui a fui les États-Unis en 1978 avant d’être condamné pour viol sur une adolescente de 13 ans, a été annoncé comme meilleur réalisateur. Haenel a finalement annoncé son retrait de l’industrie cinématographique pour dénoncer la complaisance générale de la profession envers les agresseurs sexuels. Mais ce n’était pas la fin de l’histoire. Ce mois-ci, Polanski a fait face à un nouveau procès pour avoir traité l’un de ses accusateurs de menteur.

Il reste encore beaucoup à faire. Je parle, je parle, mais je ne vous entends pas, ou à peine, a déclaré Godrché au public depuis la scène de la cérémonie des César. En effet, après son discours, peu de personnes ont osé en parler. (Toutes les personnes qui l’ont fait étaient des femmes.) Et bien que les actrices soient parmi les femmes les plus visibles qui décrivent leurs abus, la plupart des femmes n’ont pas la plateforme Godrches. Alors que le débat autour de #MeToo devient enfin plus sérieux ici, la France doit prouver que ce moment d’enthousiasme n’est pas qu’une façade.

correction

Une version antérieure de cet article indiquait mal quand Roman Polanski avait fui le pays. C’était avant sa condamnation en 1978 pour viol. Cette version a été mise à jour.

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