Arthur Fertier : Le vote en ligne peut-il inspirer la France en Estonie ?

Arthur Fertier, étudiant français spécialisé en sciences politiques et actuellement basé à Tallinn, note qu’un nombre record d’Estoniens ont voté en ligne lors des récentes élections législatives et demande s’il est possible de copier le système estonien en France.

Le 5 mars 2023, les élections générales estoniennes ont eu lieu avec un taux de participation particulièrement élevé de 63,7 %. Bien que cette participation soit quasiment la même qu’en 2019, cette élection marque un nouveau record pour la proportion de votes exprimés en ligne. Plus de 51 % des Estoniens ont voté en ligne cette année, contre 44 % lors des élections générales de 2019.

Alors que les élections législatives françaises n’ont pas réussi à convaincre plus de 50 % des électeurs de se rendre aux urnes depuis 2017, atteignant un plus bas historique de 47,5 % en 2022, la question du lien entre l’impossibilité de voter à distance et le taux d’abstention est relevé.

Une adoption progressive du vote en ligne

Comme l’Estonie est un système parlementaire, les Estoniens ne votent pas directement pour leur président et se rassemblent lors des élections générales pour amener leur candidat préféré au parlement, afin qu’un gouvernement puisse être formé par un processus de coalition.

En France, on constate par le taux d’abstention que les législatives rassemblent moins d’électeurs que les présidentielles. Pour autant, cela signifie-t-il que la différence d’abstention entre les élections législatives françaises et estoniennes est liée à une sous-estimation des enjeux par les Français ?

Plus de la moitié des votes pour élire le nouveau prochain parlement estonien se sont cette fois-ci exprimés en ligne. Est-ce le signe qu’il faut rendre le vote plus pratique pour les Français, pour leur redonner envie de voter ?

Depuis 2005, date à laquelle le vote en ligne a été introduit pour la première fois en Estonie, la part des votes en ligne dans le nombre total de suffrages exprimés a augmenté à chaque élection. Cette croissance semble reposer principalement sur un gain de confiance progressif des citoyens dans un système qui n’a jusqu’à présent pas montré de failles notables, telles que les cyberattaques.

De son côté, le gouvernement n’a pas particulièrement besoin d’en faire la promotion pour encourager le vote en ligne, mais il fournit des informations complètes sur le sujet sur son site e-Estonie.

Une carte d’identité estonienne connectée à un ordinateur.

Comment est envisagé le vote en ligne en France ?

La législation française prévoit que les citoyens français résidant à l’étranger peuvent voter en ligne aux élections consulaires et législatives. Lors des élections législatives de 2022, les Français de l’étranger ont ainsi pu voter depuis leur ordinateur, bien qu’avec beaucoup de difficultés pour certains.

En effet, de nombreuses défaillances techniques ont été signalées par les électeurs, comme le défaut d’envoi des codes (nécessaires pour finaliser la procédure de vote) dans la circonscription nordique, qui les a tout simplement empêchés de voter. Le site Internet du ministère français de l’Intérieur pour le vote a également été inaccessible pendant plusieurs heures, juste avant la fermeture des bureaux de vote. Ces multiples échecs ont rassuré les plus sceptiques dans leur méfiance à l’égard du mode de vote en ligne.

En Estonie, la question de la fiabilité est prise très au sérieux et la plupart des contraintes ont été anticipées. A l’inquiétude française sur le risque d’atteinte au libre choix en abandonnant la confidentialité de l’isoloir (achat de voix, chantage, pression sociale), l’Estonie répond en permettant aux électeurs en ligne de changer d’avis, en votant plusieurs fois au cours d’une même élection ( chaque vote annulant le précédent) et même en votant directement aux urnes, ce qui annule le vote en ligne.

Parmi toutes les autres craintes que l’on peut avoir, celle d’une panne technique n’a pas vraiment traversé l’esprit des Estoniens, qui ont depuis longtemps pris le virage du numérique, font confiance à un système informatisé qu’ils connaissent bien et utilisent déjà au quotidien, pour tous les types de documents administratifs.

Cependant, ne pensez pas que la méthode de vote en ligne n’est pas contestée en Estonie. Le dernier exemple en date est le parti populiste estonien conservateur du peuple ou EKRE qui a contesté la légitimité des résultats annoncés le 5 mars, invoquant un système peu fiable et peu solide. Cette attitude dénote de la déception car le parti n’a pas obtenu les résultats escomptés lors des élections, mais aussi parce que plus de 23 des électeurs du principal parti réformiste ont voté en ligne, alors que plus de 70% des électeurs d’EKRE ont opté pour le papier.

L’Assemblée nationale française, la chambre basse du parlement français bicaméral, la chambre haute étant le Sénat. Photo du ministère français de l’éducation et de la recherche, partagée sous licence Creative Commons 2.0.

Le vote en ligne peut-il vraiment résoudre le problème de l’abstention ?

La capacité d’une société à accepter le passage au vote en ligne dépend essentiellement de sa facilité et de son habitude à vivre dans un monde numérisé. Cela représente un premier frein pour la société française qui connaît un véritable fossé générationnel dans sa capacité à utiliser le numérique au quotidien. Cette transition vers le numérique n’est pas instantanée puisqu’il a fallu plus de 15 ans pour que la moitié des Estoniens se décident à voter en ligne.

L’autre problème que la France devra résoudre si elle adopte le vote en ligne généralisé sera celui de la sécurité et il faudra notamment pouvoir se prémunir contre d’éventuelles attaques de puissances ou de groupes étrangers.

Ce sont des enjeux majeurs qui, une fois résolus, ne garantissent pas une baisse de l’abstention. En effet, une étude belge a montré, à travers plusieurs études de cas (dont l’Estonie et la France) que le vote par internet n’a pas réduit l’abstention. Tout au plus a-t-il pu réduire le nombre de votes nuls en Estonie.

La hausse de la mobilisation lors des élections estoniennes s’explique par de multiples facteurs, comme un fort intérêt pour la politique lié à la position de l’Estonie dans le contexte de la guerre en Ukraine, mais aussi, peut-être, un rapport différent entre élus et citoyens .

La séance d'ouverture du 14e Riigikogu.  Photo d'Erik Peinar.
La salle principale du parlement estonien. Photo d’Erik Peinar.

Difficile d’imaginer que les Français décideraient soudainement de se mobiliser pour voter sous prétexte qu’il est possible de voter depuis chez soi. Le problème semble venir d’ailleurs, et probablement d’un désintérêt généralisé pour la politique.

Ce désintérêt a plusieurs facettes ; un sentiment d’impuissance et l’impression que le vote seul ne fait pas la différence, une incompréhension du rôle des élus et de l’importance de la représentation démocratique, ou un dégoût pur et simple d’un système politique régulièrement sujet à polémique.

De même que l’on voit l’intérêt pratique de cette technologie, notamment pour les citoyens habitant loin des bureaux de vote, il semble que le phénomène abstentionniste en France ne sera pas balayé si facilement, mais il demandera au contraire de gros efforts de la part de la sphère politique pour redonner sens et appel à l’acte de voter.

Il s’agit d’une version légèrement modifiée et raccourcie de l’article initialement publié sur le site Web du Business Club for Francophones in Estonia.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur.

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