Analyse | Le crépuscule du macronisme
Ce n’était pas censé se passer comme ça. Le système politique de la Ve République, établi au milieu des bouleversements provoqués par la guerre vouée à l’échec de la France contre l’indépendance de l’Algérie, était destiné à garantir la stabilité. Le pouvoir législatif constituerait un frein à une présidence exécutive forte, et le système de vote à deux tours pour les élections présidentielles et législatives, dicté par la constitution, irait invariablement à l’encontre des candidatures des extrémistes polarisants et des partis souvent plus petits qu’ils représentaient.
Ces garde-fous ne tiennent plus, en partie à cause de Macron. Il a remporté la présidence en 2017 en tant que centriste non-conformiste et a consolidé son pouvoir au Parlement lorsque son mouvement politique a effectivement fait s’effondrer les partis traditionnels de centre-gauche et de centre-droit français. En conséquence, l’opposition française à Macron a fini par se regrouper autour de l’extrême droite et de l’extrême gauche, des factions qui n’ont fait que gagner en force à mesure que la colère contre le mandat de Macron a augmenté dans l’opinion publique.
Après la défaite humiliante de son parti aux élections parlementaires européennes au début du mois, le président français a pris un risque orgueilleux : il a dissous le Parlement, prenant de court certains de ses plus proches alliés, et a convoqué de nouvelles élections législatives. Macron espérait peut-être imiter son voisin du sud, le Premier ministre espagnol de centre-gauche Pedro Sánchez, qui avait déjà risqué des élections anticipées pour obtenir un mandat politique plus fort. Mais tout porte à croire que Macron va encore s’humilier et qu’il sera peut-être contraint de nommer un homme politique d’extrême droite comme prochain Premier ministre du pays.
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Des histoires pour vous tenir informé
La France va probablement être confrontée à une situation sans précédent depuis plus de 80 ans : l’extrême droite va arriver au pouvoir, pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, m’a dit Tara Varma, chercheuse invitée à la Brookings Institution. Autre résultat sans précédent : jusqu’à présent, le scrutin à deux tours a permis de maintenir l’extrême droite à distance, a-t-elle ajouté. Cette fois-ci, il pourrait lui être favorable. Il semble peu probable qu’elle obtienne la majorité absolue, nous nous dirigeons donc vers le chaos.
Presque immédiatement, il a semblé que la décision de Macron de convoquer les élections s’était retournée contre lui. D’un côté du spectre politique, cela a conduit à la création d’une alliance de gauche, allant de l’extrême gauche aux socialistes de centre-gauche auxquels Macron appartenait autrefois, au sein d’un groupe appelé Nouveau Front populaire. De l’autre, le parti traditionnel de centre-droit a été convulsé après que son chef ait cherché une alliance avec le Rassemblement National, ascendant. Les principaux blocs de droite et de gauche surpasseront certainement le parti de Macron, qui n’a pratiquement aucune chance d’établir une majorité parlementaire.
Aucun scénario réaliste ne semble bon pour Macron. Un gouvernement majoritaire d’extrême droite s’efforcerait d’inverser ou de saper une grande partie des politiques économiques du président en annulant les réformes des retraites et en rétablissant l’impôt sur la fortune tout en poursuivant des lois dures sur l’immigration dans le pays et en faisant éventuellement dérailler l’agenda français à Bruxelles, y compris les engagements politiques et sécuritaires de Macron à Ukraine. Les experts anticipent une crise de la dette française imminente. Un gouvernement d’extrême gauche, aux yeux de certains analystes, pourrait être potentiellement encore plus dangereux pour l’économie française.
Il y a déjà eu en France des cohabitations entre des présidents et des Premiers ministres aux vues politiques opposées. Mais un Premier ministre d’extrême droite sous Macron conduirait à une situation inextricable, a expliqué Varma, car leurs points de vue sont diamétralement opposés.
Même l’hypothèse la plus probable d’un parlement sans majorité absolue serait source de problèmes, car les règles prévoient que de nouvelles élections ne peuvent être convoquées avant un an. Douze mois de paralysie parlementaire seraient un coup dur pour Macron, un homme d’action et de combat constant. Son discours politique pendant près d’une décennie était que seule sa politique, un mélange de pragmatisme économique de droite et d’optimisme libéral presque idéaliste sur certains autres fronts, pouvait guider la France à travers les périls du moment et vers un avenir au cœur d’une Union européenne renforcée et plus robuste.
Cette vision semble atteindre un sombre crépusculeMacron et son style politique autoritaire sont peut-être directement responsables de cette situation, tout comme son incapacité à forger un véritable mouvement populaire sous sa bannière. Il était perçu comme un impérialiste, un jupitérien, agissant sans consultation, tandis que sa réticence à utiliser la redistribution pour réduire les inégalités alimentait l’idée qu’il était le président des riches, a écrit l’économiste français Olivier Blanchard. En l’absence d’alternatives viables au centre-gauche et au centre-droit, les électeurs ont été attirés par les extrêmes, les populistes d’extrême droite vilipendant les immigrés, et les populistes d’extrême gauche, reflétant une longue tradition marxiste française, fustigeant les riches.
Réélu président en 2022, le parti d’Emmanuel Macron a perdu sa majorité parlementaire. Le président a alors multiplié les lois susceptibles de plaire à la droite, sur les retraites et l’immigration, sans obtenir que les conservateurs acceptent de former une coalition avec lui et en faisant fuir les électeurs de centre-gauche qui l’avaient soutenu, a observé Gilles Paris dans Le Monde.
La base de soutien de Macron s’est amenuisée et sa popularité s’est effondrée. Ce qui était sa force est devenu sa faiblesse, conclut Paris. Son omniprésence et son hyperactivité sont devenues insupportables. Plus rien ne le protège.
Bien qu’il ait déclaré qu’il resterait en dehors de la mêlée pour les élections législatives, Macron a tacitement fait campagne à chaque occasion. Dans une interview en podcast lundi, il a déclaré que l’extrême droite et l’extrême gauche promeuvent la guerre civile dans le pays, qualifiant la première d’antipathie envers les migrants et la seconde de se plier aux électeurs musulmans.
Quand on en a marre et que le quotidien est dur, on peut être tenté de voter pour les extrêmes qui ont des solutions plus rapides. Mais la solution ne sera jamais de rejeter les autres, a déclaré Macron.
Les électeurs français semblent cependant prêts à le rejeter.