Alors que les maires français sont la cible d’attaques violentes, beaucoup se sentent abandonnés
A l’aube du 22 mars, le maire Yannick Morez de Saint-Brevin-les-Pins dans l’ouest de la France s’est réveillé pour trouver sa maison en flammes.
Nous aurions pu mourir, a écrit Morez dans la lettre de démission qu’il a soumise mardi. Ni lui ni sa famille n’ont été blessés, mais l’incendie a détruit sa maison et deux voitures garées à l’extérieur. L’incendie était une attaque délibérée et ciblée.
Près de deux mois plus tard, l’affaire fait toujours l’objet d’une enquête. Mais Morez a déjà décidé de prendre un nouveau départ, avec l’intention de quitter la ville qu’il habite depuis 32 ans d’ici la fin juin.
Le président Emmanuel Macron a exprimé sa solidarité avec le maire dans un tweet au lendemain de sa démission, qualifiant les attaques de honteuses.
Ancien médecin, Morez était maire de Saint-Brevin, qui compte environ 14 000 habitants, depuis 2017. Dans les mois qui ont précédé l’attentat, la ville avait été ravagée par des manifestations de droite contre le projet de déplacer un centre local d’hébergement pour demandeurs d’asile près de une école primaire.
Saint-Brevin accueille des migrants depuis le démantèlement du camp Jungle près de Calais sur la côte nord de la France en 2016.
Nous n’avons jamais eu le moindre problème avec les migrants, a déclaré Morez à un journaliste de un entretien quelques jours après l’attentat.
Mais les manifestations organisées par des groupes d’extrême droite se sont accompagnées de menaces répétées à l’encontre de Morez, qui avait déposé de nombreuses plaintes depuis janvier de l’année dernière.
Dans un environnement politique de plus en plus tendu, un soutien croissant aux idéologies de droite et une méfiance croissante envers les institutions, les maires français commencent à se sentir en danger.
Manque de soutien
Morez a détaillé les raisons de sa démission dans un communiqué de presse. Après une longue période de réflexion, il a pris la décision de démissionner en invoquant non seulement des raisons personnelles liées à l’incendie criminel mais aussi un manque de soutien de l’État. L’ancien maire affirme que peu ou pas de mesures de sécurité ont été mises en place pour le protéger, lui et sa famille, malgré les demandes d’aide répétées.
Son sentiment d’abandon peut se comprendre de différentes manières, explique Bruno Cautrs, politologue au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Bien que les responsables locaux se soient manifestés pour exprimer leur soutien, le maire estime qu’aucune mesure visible et concrète n’a été prise pour le soutenir.
Il est vrai que les gens à l’échelle nationale n’ont découvert que le maire faisait face à des menaces après son départ, a déclaré Cautrs.
Le gouvernement n’est pas d’accord. Secrétaire d’Etat à la ruralité Dominique Faure a insisté l’État français a pris des mesures concrètes pour soutenir Morez.
Je ne peux pas laisser passer cette diapositive, a-t-elle tweeté, avant d’énumérer les moyens par lesquels l’État l’a soutenu. [We set up] des contrôles de police réguliers devant son domicile, enregistré son domicile afin que les autorités puissent intervenir [in the case of an incident] et assuré la sécurité lors des manifestations contre le centre pour demandeurs d’asile.
Mais selon un article du quotidien Libération, la plupart des mesures de sécurité n’ont été prises qu’après l’incendie de la maison de Morez. Après avoir tiré la sonnette d’alarme auprès des autorités locales en janvier 2022 sur les actes d’intimidation quotidiens auxquels il était confronté, Morez a finalement porté la question à l’attention du procureur de Nantes en février 2023, demandant un détail de sécurité personnelle pour le protéger, lui et sa famille. Il a reçu une réponse indiquant que les autorités évaluaient toujours les risques pour voir si un détail de sécurité était nécessaire. Moins de deux semaines plus tard, Morez avait démissionné.
La création de centres d’accueil des migrants fait partie d’une politique gouvernementale nationale supervisée par le Premier ministre et le ministre de l’Intérieur. Mais Morez a estimé qu’il était laissé à lui-même lorsque des problèmes liés à l’hébergement des demandeurs d’asile sont survenus, a expliqué Cautrs.
Il aurait sans doute aimé que le gouvernement fasse mieux pour expliquer [the policy] et le guider tout au long du processus, a déclaré Cautrs. Ils auraient pu travailler avec lui, pour sensibiliser localement la question et apaiser les inquiétudes des habitants.
La menace des opposants au centre d’asile aurait également pu être signalée plus tôt. Après des manifestations répétées à Saint-Brevin organisées par le parti d’extrême droite Reconquête (Reconquête), dirigé par l’ancien candidat à la présidentielle Eric Zemmour, j’ai du mal à imaginer que la police ne savait pas qui était une menace potentielle, a déclaré Cautrs. Le maire a probablement estimé que le gendarmerie auraient pu intervenir avant que les choses n’empirent comme elles l’ont fait.
Le manque de soutien ressenti par Morez est un sentiment partagé par de nombreux maires à travers la France, qui deviennent fréquemment la cible d’abus et d’attaques.
Un travail dangereux
Une enquête de novembre 2022 publiée par le Centre de recherche politique de l’université Sciences Po à Paris et l’Association des maires de France a révélé que 53 % des maires avaient subi des incivilités (impolitesse ou agression) en 2020 ; en 2022, 63 % avaient subi un tel harcèlement.
Dans un pays où plus de la moitié des municipalités comptent moins de 500 habitants, il est facile de savoir où habite le maire. Ils sont très souvent en contact étroit avec leurs communautés. Alors que les attaques contre d’autres élus comme les députés sont également devenues plus fréquentes, les maires sont les plus exposés, selon Cautrs.
Mais contrairement à l’incendie criminel de Morez à Saint-Brevin, les maires s’inquiètent surtout d’une violence qui n’a pas d’idéologie. Les cas liés à la vie quotidienne sont plus préoccupants, a expliqué Cautrs. Comme recevoir une lettre de menace parce qu’un habitant a été sanctionné pour avoir fait un incendie dans son jardin.
Le maire Julien Luya de Firminy dans la Loire a été agressé par un groupe de jeunes locaux trafiquant de drogue en janvier. Après avoir allumé un feu pour se réchauffer, le maire est intervenu et leur a dit que c’était illégal de le faire. Il a été violemment battu avec des pierres et des barres de fer, sortant de l’altercation avec un coude blessé.
À Saint-Brevin, ce ne sont pas seulement les habitants qui ont mené les manifestations contre le centre d’asile, a déclaré Cautrs. Des manifestants d’extrême droite sont venus des quatre coins de la France. C’est une distinction importante à faire.
L’association des maires a déclaré au journal français « Le Parisienne » qu’il y a eu environ 1 500 agressions signalées contre des fonctionnaires municipaux en 2022, soit une augmentation de 15 % par rapport à l’année précédente. La moitié de ces attaques étaient des insultes, 40 % étaient des menaces et 10 % étaient des violences délibérées.
Selon l’association, 150 maires ont été physiquement visés en raison de tensions locales ou idéologiques.
En bas de la chaîne alimentaire
Cautrs et l’association des maires expliquent la montée des attaques en citant des tensions persistantes dans la société française, qui a connu ces dernières années de multiples crises dont le mouvement des gilets jaunes, le Covid-19, l’inflation et les réformes des retraites très contestées.
Il y a une baisse générale de la confiance et du respect envers les institutions, tout ce qui représente une autorité hiérarchique, a expliqué Cautrs. Comparé à d’autres pays européens, a-t-il dit, la vision que les Français ont de la politique en général est l’une des plus négatives.
Les maires sont également confrontés à des gens de plus en plus exigeants et de plus en plus frustrés de ne pas obtenir ce qu’ils ont demandé, a déclaré Cautrs.
En ce qui concerne les élus, le consensus général semble être qu’il doit y avoir des conséquences plus sévères pour les auteurs d’attentats. La Première ministre Elizabeth Borne a soutenu cette idée à la suite de l’incendie criminel de la maison de Morez.
Ce qui s’est passé est très choquant, a-t-elle déclaré jeudi, lors d’une visite sur le territoire français de l’océan Indien de La Réunion. Elle a ajouté qu’elle souhaitait mieux protéger les maires, intervenir plus tôt pour les soutenir, identifier leurs difficultés et mieux les accompagner.
Des mesures pour mieux protéger les maires sont déjà en préparation. En janvier 2023, une loi visant à mieux accompagner les élus pour rompre leur isolement juridique est entrée en vigueur. Il permet à des groupes nationaux comme l’association des maires ainsi qu’aux assemblées législatives de se constituer parties civiles en cas d’attaque contre un élu. La loi facilitera l’accès aux dossiers des victimes et permettra aux associations et aux législateurs de désigner des avocats.
Pendant ce temps, dans le sud de la France, les élus prennent les rênes. Quelque 2 000 maires de la région Occitanie se sont réunis mardi à Montpellier pour faire part de leurs inquiétudes face à la montée des violences à leur encontre.
Les maires ont le sentiment qu’on leur demande de tout résoudre eux-mêmes, a déclaré Cautrs à propos de la réunion. Mais ils ne peuvent pas.