Alors que la France accueille les anciens combattants du Jour J, l’évêque rappelle les religieuses perdues dans les bombardements alliés

Par Caroline de Sury

PARIS (OSV News) L’accueil a été émouvant lorsque 48 vétérans venus des quatre coins des États-Unis sont arrivés à l’aéroport de Deauville-Normandie le 4 juin à bord d’un vol spécial en provenance d’Atlanta pour célébrer le 80e anniversaire du Débarquement le 6 juin.

La première dame de France Brigitte Macron et de hauts responsables français étaient là pour les accueillir avec des enfants français, certains vêtus de vêtements imitant les uniformes militaires de 1944.

Bienvenue en France, a déclaré Brigitte Macron, s’exprimant en anglais, exprimant son plus profond respect et son plus profond amour aux anciens combattants, a rapporté l’Associated Press.

Vous vous êtes battu pour notre liberté. Vous avez toujours décidé d’éduquer la jeune génération pour qu’elle ne l’oublie jamais, a-t-elle déclaré.

La première dame a été vue en train de serrer les anciens combattants dans ses bras, saluant chacun avec deux traditionnels baisers sur la joue. Les militaires américains, âgés pour la plupart de plus de 100 ans, semblaient de bonne humeur à leur arrivée en Normandie.

Le président américain Joe Biden est arrivé à Paris le 5 juin et devrait assister à la célébration officielle de l’État en Normandie le 6 juin, à côté de Bloody Omaha et d’autres plages, qui ont vu des milliers de soldats alliés sacrifier leur vie pour sauver la France et l’Europe de l’occupation nazie allemande.

Les célébrations de cet anniversaire se dérouleront en présence des évêques catholiques de Normandie, présidés par Mgr Jacques Habert de Bayeux-Lisieux, ainsi que du président de la conférence des évêques de France, Mgr Eric de Moulins-Beaufort de Reims.

Le 8 juin, dans la cathédrale de Bayeux, Mgr Habert bénira une plaque de marbre portant les noms de 138 prêtres, séminaristes et religieux et religieuses disparus pendant la Seconde Guerre mondiale, soit victimes d’attaques aériennes, soit déportés dans les camps de la mort pour actes de résistance.

Pour la première fois, les noms des religieuses décédées lors des bombardements alliés qui ont accompagné le jour J seront honorés. Parmi elles se trouvaient près de 100 religieuses décédées sous les bombardements alliés le 6 juin 1944.

Un prêtre diocésain, le père Pascal Marie, travaille depuis 2004 à retrouver les noms des religieuses qui ont péri ce jour-là dans le nord de la Normandie. Les listes des victimes établies en 1944 mentionnaient les noms des prêtres, mais pas ceux des religieuses, a-t-il déclaré à OSV News.

Seules les communautés ont été mentionnées. J’ai trouvé poignant que nous ne connaissions même pas les noms de ces femmes décédées. Il y avait encore quelques religieuses qui avaient entendu les histoires émouvantes et terribles de ce qui s’était passé à cette époque. Il fallait recueillir leurs témoignages avant qu’il ne soit trop tard ! il a dit.

Le père Marie commence à faire des recherches dans les archives communautaires et à interviewer des religieuses âgées.

Les enquêtes n’ont pas été faciles, du fait que les religieuses portent un nom de religieuse en plus de leur nom civil, a-t-il expliqué. Il a également interrogé les familles, auprès desquelles il a trouvé de nombreuses informations.

Notre diocèse est encore fortement marqué par le Débarquement. Nous vivons dans des villes qui ont presque toutes dû être reconstruites après la guerre. Toutes les familles ont des souvenirs de cette période qui leur ont été transmis par leurs parents ou grands-parents. Grâce aux familles, j’ai même pu retrouver des photos, raconte le Père Marie à OSV News.

Parmi les communautés religieuses tragiquement touchées par les bombardements alliés qui ont accompagné le débarquement sur la plage se trouvaient les Petites Sœurs des Pauvres du couvent Saint-Thrès à Lisieux. Sur les 17 sœurs, 13 ont été tuées, selon le Père Marie.

J’ai trouvé une photo des quatre survivants, parmi lesquels deux Espagnols, un Italien et un Chinois, raconte le Père Marie. Une des Espagnoles, sœur Joséphine, avait dit le 6 juin 1944 : S’il arrive quelque chose, que le Seigneur m’accorde la grâce de prier jusqu’au bout.

Dans la nuit, un bombardement décime le couvent. Le matin du 7 juin, les secouristes ont entendu sœur Joséphine prier en espagnol pendant plusieurs heures. Le Père Marie a retrouvé le témoignage d’une des religieuses survivantes et écrit : Pour le reste de ma vie, je me souviendrai de la vue du corps de sœur Joséphine lorsque nous l’avons découvert. L’explosion l’avait projetée au sommet d’une poutre. Les bras raidis par la mort, elle leva vers le ciel ses deux mains jointes.

Nous avons aussi le récit du décès de la sœur chinoise, ajoute le Père Marie. Elle s’est retrouvée vivante après le même bombardement, mais coincée sous une immense bibliothèque. Lorsque les sauveteurs l’ont atteinte, elle a insisté pour qu’ils mangent quelque chose avant de la déterrer, car ils travaillaient depuis des heures. Malheureusement, elle est décédée plus tard des suites de ses blessures, a indiqué le Père Marie.

Le Père Marie a également parlé de l’abbaye bénédictine Notre-Dame-du-Pr de Lisieux, fondée en 1050, et à l’école de laquelle Sainte Thrse de Lisieux avait étudié.

Le 7 juin 1944, une vingtaine de religieuses furent tuées en quelques minutes. Le monastère fut détruit, et avec lui les archives de son histoire millénaire.

La mère supérieure et la sous-prieure ont été tuées, raconte le père Marie. Les quelques survivants se retrouvèrent parmi les ruines. La responsable de la liturgie s’adresse aux autres : Mes sœurs, dit-elle, je vois que certaines d’entre vous ont gardé leurs livres d’heures avec elles. Nous allons faire ce pour quoi nous avons été faits : chanter l’Office divin. Ainsi, le 7 juin, au milieu des cadavres, ils se mirent à chanter la Liturgie des Heures, raconte le Père Marie.

J’ai rencontré plusieurs sœurs qui avaient connu les survivants et elles m’en ont parlé, raconte le Père Marie. Ce courage et cette force sont un exemple pour nous tous.

Le Père Marie peut citer bien d’autres exemples, dont celui des religieuses de plusieurs monastères de Caen, ancienne capitale du duché de Normandie, détruite aux trois quarts par les bombardements de 1944. Une des religieuses Ursulines fut la seule survivante de son couvent.

Le 8 juin, la plaque qui sera dévoilée portera également les noms de séminaristes et de prêtres tués au combat ou déportés parce qu’ils étaient résistants.

Parmi eux se trouve le père Jean Daligault, qui est une figure profondément émouvante, a expliqué le père Marie.

Il est arrêté par la Gestapo (police nazie allemande) en 1941, envoyé en prison puis dans un camp de concentration. Il est mort à Dachau, en avril 1945, d’une balle dans la nuque, la veille de la libération du camp, a précisé le prêtre.

Après sa mort, on a découvert qu’il avait continué à peindre en prison et au camp, raconte le père Marie. Il utilisait tous les matériaux à sa disposition, la paille de son matelas, des lambeaux de journaux et de la rouille pour sa peinture. Il se lie d’amitié avec un prêtre allemand qui sortait secrètement des œuvres (du Père Daligault).

Plus de 150 œuvres de prêtres martyrs français ont finalement été rassemblées.

Il a peint la vie dans les camps, ainsi que des portraits de lui-même, qui montrent les progrès de son déclin physique, explique le père Marie. Ces témoignages impressionnants sont désormais exposés au musée de Besanon, dans l’est de la France.

C’est très émouvant de penser à toutes ces victimes civiles, a déclaré le Père Marie à OSV News. Parmi elles, les religieuses oubliées ont contribué à leur manière aux efforts de tous ceux qui ont contribué à libérer la France. La plaque de marbre portant leurs noms touchera de nombreuses familles. Beaucoup de ces religieuses n’avaient pas de tombe puisque leurs corps ont disparu dans les flammes.

Le 8 juin, lorsque l’évêque bénira la plaque de marbre, la sœur d’une des religieuses sera présente. Elle a maintenant 101 ans.

Dès l’aube du 6 juin, une douzaine de messes paroissiales seront célébrées sur les plages du Débarquement. La cérémonie officielle de commémoration internationale aura lieu à Saint-Laurent-sur-Mer, la petite ville bordant Omaha Beach, en présence des présidents français et américain, entre autres chefs d’État.

C’est la plage sur laquelle plus de 34 000 soldats américains ont débarqué le 6 juin 1944. On estime que 2 500 d’entre eux ont été perdus ce jour-là.

Caroline de Sury écrit pour OSV News depuis Paris.

www.actusduweb.com
Suivez Actusduweb sur Google News


Ce site utilise des cookies pour améliorer votre expérience. Nous supposerons que cela vous convient, mais vous pouvez vous désinscrire si vous le souhaitez. J'accepte Lire la suite