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Albert Camus, Reconstruire la France depuis l’Amérique

L’Amérique, pour Camus, représentait de nombreuses choses, dont peu étaient favorables. Lorsqu’il voit Coney Island pour la première fois, dans le froid, avec le vent gris et le ciel plat, il trouve son cœur immobile et froid, comme face à des paysages qui ne m’émeuvent pas. Si le port de New York lui apparaît comme le berceau de l’ordre, du pouvoir et de la force économique, il n’en est pas moins un monument d’une inhumanité remarquable. Lorsqu’il met enfin les pieds à Manhattan, il est aveuglé par des panneaux lumineux et d’énormes panneaux publicitaires annonçant des cigarettes. Il n’y a jamais de changement dans ce pays, se plaint-il, et tout le monde a l’air de sortir d’un plateau de tournage à petit budget. En passant devant un magasin de cravates, il remarque qu’autant de mauvais goût semble difficilement imaginable.

Le commerce auquel sont soumis tous les aspects de la vie (et de la mort) l’irrite : une des façons de comprendre un pays est de savoir comment les gens y meurent. Ici, tout est prévu. Vous mourez et nous faisons le reste, disent les dépliants promotionnels. Les cimetières sont une propriété privée : dépêchez-vous et réservez votre place. Même l’odeur de New York, parfum de fer et de ciment, ne peut lui prouver la vertu de ce meilleur des mondes. Ce n’est que lorsqu’il s’échappe de New York, pour une brève visite à Québec pour une conférence, que Camus peut apprécier le revers de la médaille nord-américaine, soit la splendeur naturelle : pour la première fois sur ce continent, la véritable impression de la beauté et la vraie grandeur.

Et pourtant, les Américains eux-mêmes surprennent agréablement Camus. Après avoir souligné la présence de la race et du racisme dans la vie quotidienne américaine, il est réconforté par la vue d’un homme blanc cédant sa place dans le bus pour une femme noire. Et lorsque, lors de sa conférence à Columbia, quelqu’un vole la caisse pleine de dons pour les enfants français ravagés par la guerre, il s’étonne de voir que chaque spectateur contribue une seconde fois plus en sortant qu’en entrant. Typique de la générosité américaine. Leur hospitalité et leur cordialité sont également comme ça, immédiates et sans affectation. C’est ce qu’il y a de mieux chez eux.

Ce qui unifie les entrées dans Voyages dans les Amériques C’est l’obsession de Camus de démasquer et de définir ce qu’il appelle la tragédie américaine : « C’est ce qui m’opprime depuis que je suis arrivé ici, même si je ne sais pas encore de quoi elle est faite. Au fil de ses voyages de New York à Philadelphie, en passant par Washington DC et Québec (il écrit très peu sur ces trois derniers), il commence à mettre le doigt sur le manque total d’introspection. Dans ce pays, tout est destiné à prouver que la vie n’est pas tragique. En conséquence, les Américains ont le sentiment qu’il manque quelque chose. À juste titre, Camus peut difficilement contempler ce qui pourrait autrement être une vue magistrale de l’horizon de New York depuis l’hôtel Plaza sans évoquer une vision apocalyptique de l’avenir de la ville, qui ne ressemble qu’au passé récent de son propre pays : des fenêtres éclairées et un grand bâtiment noir. les visages qui clignotent et clignotent à mi-hauteur du ciel, cela me fait penser à un gigantesque incendie qui s’éteint, laissant à l’horizon des milliers d’immenses carcasses noires, parsemées de braises fumantes.

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