Aimer la France ou la quitter : les électeurs des petites villes soutiennent l’extrême droite de Le Pens
La Seine-et-Marne, au sud-est de Paris, est devenue un bastion du soutien au Rassemblement national dans une région auparavant hostile au parti de Marine Le Pens. Fraîchement triomphée aux élections européennes, l’extrême droite surfe sur une vague de sentiment anti-immigrés dans les capitales françaises périphériques, alors qu’elle vise une victoire historique aux prochaines élections législatives.
Nichée dans une boucle de la Seine à quelque 80 kilomètres en amont de Paris, la ville de Champagne-sur-Seine est une cible privilégiée du Rassemblement national (RN) de Le Pens.
Au cours de la dernière décennie, le parti d’extrême droite a vu sa part de vote croître régulièrement dans cette ville de 6 500 habitants, culminant avec une victoire écrasante aux élections européennes du 9 juin, où il a remporté plus de 37 % des voix.
Alors que le pays retourne aux urnes lors d’élections anticipées les 30 juin et 7 juillet, le RN espère désormais remporter le siège local à l’Assemblée nationale, deux ans seulement après avoir raté de peu le second tour.
A la gare de Champagne-sur-Seine, les voyageurs ne cachent pas leur soutien à un parti qui a largement réussi à détoxifier son enseigne même si beaucoup hésitent encore à donner leur nom.
De retour de petite banlieue parisienne, le cheminot Laurent* montre du doigt un insigne sur sa veste aux couleurs bleu, blanc et rouge du drapeau français.
Cela résume : soit on aime la France, soit on la quitte, dit-il. Et cela vaut pour vous comme pour moi, que vous soyez un « comprimé d’aspirine » (argot pour désigner un Blanc) ou un étranger qui crache sur la France.
Comme beaucoup d’électeurs Le Pens, Laurent, 50 ans, cite l’immigration comme sa principale préoccupation.
« Nous ne pouvons même pas fournir de la nourriture et un abri à ceux qui sont déjà dans le pays », dit-il. « Il faut les aider en premier lieu, au lieu d’amener plus de gens. »
Les fauteurs de troubles devraient être expulsés
La montée de l’extrême droite à Champagne-sur-Seine s’accompagne d’une montée en puissance du soutien au Rassemblement national à l’échelle nationale, qui a sa meilleure chance à ce jour de prendre le pouvoir après la décision choc du président Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale.
Les sondages auprès des électeurs suggèrent que le parti Le Pen est sur le point de remporter la plus grande part des voix lors des prochaines élections, voire même de décrocher la majorité absolue des sièges à la chambre basse du Parlement français, qui exerce de plus grands pouvoirs que le Sénat.
Ce dernier résultat conduirait à la création du premier gouvernement d’extrême droite en France depuis le régime de Vichy, allié aux nazis, et couronnerait un revirement extraordinaire pour un parti extrémiste cofondé par le père de Le Pen, Jean-Marie, partisan de Vichy et condamné pour antisémite.
Jean-Marie Le Pen était trop extrême pour moi, mais Marine a une approche plus douce, dit Laurent, qui a commencé à voter pour l’extrême droite il y a dix ans, avec Marine Le Pen à la tête du parti.
Elle affirme que les étrangers désireux de s’intégrer sont les bienvenus, mais que les fauteurs de troubles devraient être expulsés, ajoute-t-il.
En savoir plusComment l’extrême droite française a changé le débat sur l’immigration
Jeremy, 37 ans, un autre banlieusard, dit qu’il votera également pour le Rassemblement national, même s’il se méfie davantage du message de l’extrême droite et de son histoire effrayante.
« Je veux que le Rassemblement national ait une plus grande présence au Parlement, mais je ne veux pas nécessairement que Jordan Bardella soit Premier ministre », dit-il, faisant référence au président du RN et à l’égérie que Le Pen a nommé comme son candidat au poste de Premier ministre.
Ancien partisan du camp conservateur dominant, Jeremy affirme qu’il n’est pas entièrement opposé à l’immigration, soulignant que l’histoire de ce pays est construite sur l’immigration.
Cependant, le technicien de l’énergéticien EDF affirme s’être installé dans une région proche car il ne se sent plus chez lui dans sa Champagne-sur-Seine natale.

Mes amis d’enfance ici ont changé, dit-il. Nous jouions tous ensemble et nous habillions de la même manière, mais ensuite ils ont commencé à se laisser pousser la barbe, à s’habiller en djellabas et à parler de leur foi. Maintenant, ils font la leçon aux gens sur la consommation d’alcool, de porc ou les sorties avec des filles.
Et tandis qu’une boucherie Halal, un stand de kebab et deux pizzerias ont contribué à revitaliser le centre délabré de la ville, Jérémie est nostalgique des commerces traditionnels disparus il y a des années, dont l’ancien magasin de pêche de Champagne-sur-Seines et une pâtisserie connue pour ses produits locaux. spécialités.
Ils ont amené des gens de partout
La nostalgie du Champagne d’autrefois est un sujet de conversation récurrent parmi les électeurs de cet ancien pôle industriel, qui abrite l’usine Schneider qui fabriquait des obus pendant la Première Guerre mondiale et alimentait les premières lignes de métro parisien au début du XXe siècle.
L’usine était à la fois la fierté de Champagne-sur-Seine et son principal employeur, raconte Jacquot, 70 ans, ancien facteur de la ville, alors qu’il faisait ses courses au marché local qui s’est réduit au fil des années à quelques étals.
Schneider a construit les grands blocs de meules qui entourent la place du marché et abritaient autrefois les ouvriers de l’usine. L’entreprise a également fait venir une importante main-d’œuvre immigrée, modifiant ainsi la démographie de la ville.
Mais l’usine a fermé ses portes en 1989 et a été reprise par une entreprise suédo-suisse, ABB, qui n’a conservé qu’une fraction de la main-d’œuvre. L’économie locale en a pris un coup dur et les logements des travailleurs ont été transformés en logements sociaux.

C’est à ce moment-là que Jacquot, un ancien électeur communiste, a changé d’allégeance au prédécesseur du RN, le Front National, qui a détourné les électeurs de la classe ouvrière de la gauche avec sa promesse de donner aux ressortissants français un accès prioritaire à l’emploi et à l’aide sociale.
Ils ont fait venir des gens de partout, dit Jacquot, accusant les gouvernements successifs de favoriser les immigrés par rapport aux ressortissants français. Les prix ont augmenté et ils (les immigrants) ont la priorité sur nous.
La délinquance et les incivilités sont également en hausse, selon le retraité, qui raconte avoir été giflé il y a deux ans après avoir fait la leçon à un jeune qui roulait à vélo sur un trottoir.

Pierrette Walter, ancienne adjointe au maire, n’est pas d’accord avec l’évaluation de Jacquot.
Nous avons certes de nombreux résidents économiquement vulnérables, mais cela ne veut pas dire que cela ne fera de mal à personne, dit-elle, soulignant que près de la moitié des logements de Champagne-sur-Seine sont classés comme logements sociaux.
Cela va être une élection difficile, ajoute l’ancienne infirmière, qui vote habituellement à gauche. Mais une chose est sûre : je ne voterai jamais pour l’extrême droite.
Ils ne voulaient pas de Noirs et d’Arabes
Anne*, femme de ménage de 57 ans, vote pour l’extrême droite depuis l’âge de 18 ans.
La seule fois où j’ai essayé quelque chose de différent, c’était pour (François) Mitterrand en 1981, raconte cette mère de cinq enfants, très vite déçue par l’ancien président socialiste.
Depuis chez elle, Anne peut apercevoir un refuge pour demandeurs d’asile qui a ouvert ses portes en 2015, au plus fort de la crise des réfugiés en Europe. Géré par la Croix-Rouge, il abrite principalement des hommes célibataires, pour la plupart Afghans, qui se rendent quotidiennement à Paris aux côtés des navetteurs de la ville.
Ici, j’ai du mal à joindre les deux bouts, alors que les lumières restent allumées toute la nuit au foyer de migrants. Et en plus, ils reçoivent des bons d’alimentation, bouillonne-t-elle. Nous pourrions au moins leur demander d’apporter une contribution symbolique, au programme de travail communautaire de la ville, par exemple.
Elle ajoute : Je ne suis pas raciste. J’ai des petits-enfants d’origine étrangère. Je ne discrimine personne, mais je veux que (les immigrants) respectent le pays qui les a accueillis. Aujourd’hui, je pense que trop de gens le saccagent.

La décision d’ouvrir un centre d’accueil d’urgence dans la commune a attisé les tensions entre habitants, explique Sara*, une mère de famille de 40 ans qui vit dans un quartier bourgeois de Champagne-sur-Seine et dont les voisins se plaignent régulièrement des immigrés.
Ce qui les dérange, c’est que la plupart de ces nouveaux arrivants sont des hommes de couleur ou issus de minorités visibles, dit-elle. Ils pensent qu’il y a trop d’étrangers.
Elle se souvient d’une réunion de quartier qui avait dégénéré l’année dernière lorsque les habitants avaient été consultés sur les projets de création d’un terrain de jeu reliant leurs quartiers résidentiels aux projets de logements sociaux à proximité.
Certains habitants se sont opposés au projet car ils ne voulaient pas que des Noirs et des Arabes squattent le quartier, explique Sara, dont les parents sont d’origine nord-africaine. Elle accuse certains médias d’avoir diffusé la rhétorique anti-immigrés de l’extrême droite.
Cela fait un moment que nous sommes lynchés médiatiquement, c’est devenu monnaie courante, dit-elle. Vous pouvez désormais attaquer toute une partie de la population sans vous attirer des ennuis.
Sara, enseignante, affirme qu’elle fera sa part pour bloquer l’extrême droite et encourager les autres à aller voter. Mais elle se montre pessimiste quant à l’issue du scrutin et s’inquiète de la montée du soutien à Le Pens parmi les jeunes électeurs.
« Je peux excuser les électeurs plus âgés et ceux qui ont du mal à payer leurs factures, mais je ne peux pas comprendre cette nouvelle génération d’électeurs du RN », dit-elle. « Quand ce sont vos propres amis d’enfance, ceux qui venaient manger chez vous, c’est là que ça fait vraiment mal. »
*Les noms ont été modifiés
Cet article est une traduction de l’original en français.
