Absence de cohérence française au Liban
Le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian et le président français Emmanuel Macron rencontrent des militaires mobilisés pour la reconstruction du port de Beyrouth, à Beyrouth, au Liban, le 1er septembre 2020. (Reuters)
La France a souvent lancé des initiatives louables dans le cadre de sa stratégie internationale. Malheureusement, la France s’avère souvent incapable de mener à bien ces initiatives en raison de l’ignorance des réalités des rapports de force et d’une croyance erronée en des solutions providentielles. Le résultat final est souvent exactement le contraire de ce qui était prévu.
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Ce manque de cohérence entre la stratégie et la tactique de la France est actuellement flagrant au Liban. Motivé par l’explosion massive du port de Beyrouth en août 2020, Emmanuel Macron a consacré beaucoup de temps et d’efforts cette année-là pour extraire le pays des Cèdres de son bourbier politique et économique. Il se rend deux fois à Beyrouth, suscitant l’enthousiasme du public libanais. Mais, depuis lors, la situation politique du Liban et le niveau de vie des Libanais n’ont fait qu’empirer.
Le président français Emmanuel Macron rencontre des militaires mobilisés pour la reconstruction du port de Beyrouth, à Beyrouth, au Liban, le 1er septembre 2020. (Reuters)
Stratégiquement, le président français a eu raison d’investir des efforts pour tenter de résoudre la situation difficile du Liban. D’abord parce que le Liban est un ancien protectorat français et un pays avec lequel la France entretient des liens historiques de longue date. Deuxièmement, cette démocratie tolérante, où coexistent chrétiens catholiques et orthodoxes, musulmans sunnites, chiites et druzes, doit être préservée comme modèle de société pour tout le Moyen-Orient. Enfin, la France est mieux placée que quiconque pour être la marraine d’un Liban régénéré. Mieux placés que les Etats-Unis, discrédités par le désastre que leur ingérence militaire a causé en Irak. Mieux placé que l’Iran, dont le régime théocratique est au bout du rouleau. Mieux placé que l’Arabie Saoudite, occupée à pacifier ses relations de voisinage immédiat.
L’essence de la stratégie française au Liban depuis la conférence CEDRE qui s’est tenue à Paris en avril 2018 est de s’aider soi-même, et le ciel t’aidera. Il exhorte les Libanais à entreprendre un processus de réformes (dans leurs secteurs administratif, bancaire et énergétique). En échange, la France débloquera pour eux des subventions et des prêts des institutions financières internationales (FMI, Banque mondiale, Aide au développement de l’UE) et des pétromonarchies du Golfe. C’est une bonne stratégie. C’est simple, clair et juste.
Le problème est que la plupart des dirigeants des grands partis libanais sont des chefs de guerre sectaires à l’esprit milicien/mafieux à somme nulle, qui détiennent un monopole jalousement gardé du pouvoir et dont la première et unique préoccupation est la préservation de leurs privilèges et de leurs réseaux clientélistes. Ils sont incapables de sacrifier même une petite fraction de leur pouvoir et de leur prédation sur l’autel des réformes.
Cela fait six mois qu’ils ne sont pas parvenus à s’entendre sur le nom d’un nouveau président de la république, alors que Michel Aoun a quitté le palais présidentiel de Baabda le 30 octobre 2022. Le président, qui doit toujours être chrétien maronite selon la tradition constitutionnelle, doit être élu à la majorité absolue des 128 membres du parlement monocaméral libanais. La difficulté est qu’un quorum des deux tiers est requis pour que l’élection soit valide, donc seule une figure consensuelle peut être élue.
La France – à qui les États-Unis sous Trump et Biden ont tacitement confié la gestion de la réponse occidentale à la question libanaise – répète à plusieurs reprises que sa position reste claire et n’a que trois exigences : des réformes, un Premier ministre réformateur et un président qui ne entraver les réformes. Depuis l’accord de Taëf d’octobre 1989, qui a valeur constitutionnelle, c’est le premier ministre (toujours un musulman sunnite) qui est chargé de conduire la politique de la nation, tandis que le pouvoir de nomination reste entre les mains du président.
A leur grande surprise, les réformistes libanais ont appris que la France encourageait secrètement la candidature de Suleiman Frangieh, ami proche depuis l’enfance du président syrien Bachar el-Assad et petit-fils d’un ancien président libanais, à la présidence et demandait aux Saoudiens de convaincre les députés libanais sunnites à voter en conséquence. Issu d’une ancienne famille politique du nord du Liban, Frangieh est l’incarnation d’un seigneur féodal classique, aligné sur l’axe Damas-Téhéran.
Sleiman Frangieh, chef du mouvement Marada, fait des gestes en parlant après avoir rencontré le patriarche maronite Bechara Boutros Al-Rai, le 30 octobre 2021. (Reuters)
Il est évident que la France est prête à accepter de bonne foi les promesses de Frangieh de superviser un processus de réformes transparent. Étant donné le statut de Frangieh en tant que membre du cartel mafieux/milicien qui dirige le Liban, et compte tenu de ses alliances politiques, la France serait crédule à l’extrême de s’attendre à ce qu’il respecte ses engagements. Depuis la fin des années 1970, la Syrie et l’Iran n’ont occupé, volé ou instrumentalisé le Liban que pour satisfaire leurs intérêts de clocher. Ces deux pays ont déjà le président du Parlement libanais, Nabih Berri, dans leur poche. Pourquoi leur donner également la présidence (par laquelle passeront les nominations critiques pour le prochain Premier ministre, gouverneur de la banque centrale et commandant de l’armée libanaise) ? Ne faut-il pas profiter de la réconciliation irano-saoudienne pour obtenir un compromis sur une personnalité véritablement réformiste à la tête de l’Etat libanais ?
Il n’est pas malsain que la France cherche un jour à ramener la Syrie et l’Iran dans l’arène des nations. Mais leur remettre les clés du Liban est totalement incohérent.
Renaud Girard est un journaliste et écrivain français.
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