À quoi pensait Macron ?
Deux événements sismiques ont secoué la France dimanche dernier. Les hommes politiques commencent tout juste à sortir des décombres et à se démener pour donner un sens à leur monde bouleversé.
Le premier séisme est survenu peu après la fermeture des bureaux de vote français pour les élections au Parlement européen. Presque immédiatement, la liste électorale de Marine Le Pens pour le Rassemblement national (RN) d’extrême droite a été annoncée gagnante. Ce n’était bien sûr pas une surprise. Depuis des semaines, les sondeurs rapportaient que la liste RN, menée par Jordan Bardella, oscillait au-dessus de 30 pour cent, soit plus du double de la liste Renaissance du gouvernement, menée par Valrie Hayer.
À mesure que les chiffres affluaient, le choc s’intensifiait. Le RN avait déjà battu les partis majoritaires lors des précédentes élections européennes, mais cette fois, l’écart était de près de 17 points de pourcentage. De plus, le parti a emporté toutes les régions, y compris les remparts républicains comme la Bretagne et l’Île-de-France, mais pas la plus grande ville de cette dernière, Paris, et a fait des incursions auprès de pans de la population autrefois hors de sa portée, y compris les électeurs de plus de 65 ans ainsi que les titulaires d’universités et de diplômes. diplômes professionnels.
Puis vint la réplique. Moins d’une heure après l’annonce des résultats, le président Emmanuel Macron a déclaré la dissolution de l’Assemblée nationale et la convocation de nouvelles élections législatives. Cette annonce a surpris non seulement tous ses opposants, mais également de nombreuses personnalités de son propre parti.
Compte tenu de la force du RN, observait un ministre quelques semaines plus tôt, je ne peux honnêtement pas imaginer que le président dissout l’assemblée. Même Macron, semble-t-il, ne pouvait pas prévoir sa décision, insistant le mois dernier encore sur le fait que les élections européennes n’avaient de conséquences politiques que pour l’Europe, pas pour la France.
Acteurs politiques et commentateurs ont décrit à plusieurs reprises la décision de Macron comme une décision dont il avait discuté avant son annonce avec un petit groupe de proches conseillers, dont quelques-uns, dont le Premier ministre Gabriel Attal, auraient tenté de le dissuader comme un jeu de dés. De manière moins flatteuse, d’autres l’ont qualifié d’acte d’un pompier pyromane ou de quelqu’un qui allume des incendies pour les éteindre. Mais il est plus important que de trouver une étiquette à la décision, il est de trouver une raison pour la justifier. Il existe plusieurs explications possibles.
D’abord, comme le révolutionnaire figure Georges Danton, qui déclarait : « Audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et la nation sera sauvée », Macron se targue de faire preuve d’audace. Et, au moins dans un premier temps, l’intention de son annonce de surprendre les autres partis a fonctionné, sauf, ironiquement, avec le RN, qui avait demandé la dissolution du Parlement et faisait déjà des plans.
Et ce qui est tout aussi crucial, c’est qu’il l’a fait à une époque où il n’y a pas un seul parti de gauche mais plusieurs. La Nouvelle Union populaire écologique et sociale, la coalition de gauche qui s’est formée avant les élections législatives de 2022, s’est révélée aussi lourde à manier que son nom. La politique et la personnalité de l’homme à l’origine de la coalition, Jean-Luc Mlenchon de La France Insoumise (LFI), d’extrême gauche, ont rapidement aliéné les autres partis, y compris les Socialistes et les Verts, conduisant à l’implosion de la coalition.
Mais l’audace de Macron pousse désormais les partis de gauche à faire preuve d’audace. Lundi soir, ils avaient réussi à aplanir leurs divergences plutôt qu’à les approfondir. (Cela a été en partie alimenté par le Parti socialiste, soutenu par une solide performance aux élections européennes grâce au rôle joué par le charismatique tête de liste, Raphal Glucksmann.)
Invoquant le nom de la coalition de 1936 des partis de gauche formée après une tentative de coup d’État des forces d’extrême droite, les dirigeants de LFI, les socialistes, les communistes et les Verts (aujourd’hui appelés les Écologistes) ont annoncé la création d’un nouveau Parti populaire. Front représentant les mouvements humanistes, syndicaux et civils de la nation. Ils ont convenu de présenter un candidat unique et mutuellement convenu dans chaque circonscription contre les candidats représentant la droite et l’extrême droite. L’objectif, ont-ils déclaré dans un communiqué commun, est de construire une alternative à Emmanuel Macron et de combattre le projet raciste de l’extrême droite.
À droite, cependant, la décision de Macron aurait pu s’avérer payante. Mardi matin, Rica Ciotti, le chef du parti conservateur Les Républicains (LR), a annoncé que son parti devrait accepter l’invitation du RN à les rejoindre. Sa déclaration a immédiatement déclenché une tempête d’indignation et de perplexité parmi les autres membres du parti traditionnellement de centre droit.
Non seulement cela allait à l’encontre de la position du parti selon laquelle le programme du RN était antithétique avec ses propres valeurs républicaines, mais cela contredisait même l’affirmation de Ciotti, faite en janvier, selon laquelle de profondes différences idéologiques signifiaient qu’il ne pourrait jamais y avoir d’alliance entre les deux partis. . Des voix éminentes de LR ont voté mercredi en faveur de l’éviction de Ciotti (il a insisté sur le fait qu’il restait leader tout en s’enfermant au siège du parti pour éviter sa destitution). Pendant ce temps, des voix des partis Le Pen et Macron appellent les LR désillusionnés à émigrer vers leurs camps respectifs.
Deuxièmement, la décision de Macron reflète la stratégie électorale qu’il a adoptée pour la première fois en 2017 : cest moi ou le chaos. Comme il ne cesse de le rappeler aux Français, le chaos est en partie incarné par Le Pen et son parti. Pourtant, cette focalisation a eu pour effet pervers d’aider Le Pen à refaire le RN.
Depuis 2011, lorsque Le Pen a hérité du Front national de son père, Jean-Marie Le Pen, elle poursuit résolument une stratégie de dé-diabolisation. Elle a purgé le parti des néo-nazis et des apologistes de Vichy qui remplissaient initialement ses rangs ; il l’a purgé de son nom, le rebaptisant Rassemblement National plus gentil et plus doux ; et la débarrasser de son père, qui ne cessait d’insister sur le fait que l’Holocauste n’était rien d’autre qu’un détail de l’histoire.
Le Pen a réussi à normaliser un parti qui reste profondément xénophobe, islamophobe, autoritaire et antilibéral, mais a également transformé le discours politique français de telle sorte que ces mêmes qualités sont elles-mêmes perçues comme normales.
Pourtant, la stratégie de Macron risque d’être le mal contre lequel elle prétend être le remède. Depuis 2017, il a toujours présenté l’avenir de la France comme une bataille manichéenne entre les forces du bien, ou le macronisme, et celles du mal, ou le lepénisme. Mais dans ses efforts pour attirer les électeurs conservateurs à ses côtés, Macron a débauché à plusieurs reprises dans les eaux toxiques du lépénisme, plus récemment en adoptant de force un projet de loi sur l’immigration qui refuse certaines prestations sociales aux non-ressortissants ainsi que la citoyenneté automatique à leurs enfants. né sur le sol français. Fondamentalement, ces deux clauses ont tacitement adopté l’une des revendications nativistes de longue date de Le Pen, la soi-disant préférence nationale.
Dans le même temps, il s’est aliéné de nombreux membres de la gauche en regroupant Mlenchon, dont les actions périodiquement perturbatrices ont violé les normes parlementaires mais pas les principes républicains, dans le même camp autoritaire et anti-républicain que le RN.
Troisièmement, à la suite des élections législatives de 2022, la Renaissance de Macron s’est vu refuser la majorité absolue à l’Assemblée nationale, et les gouvernements successifs, d’abord sous Lisabeth Borne puis Attal, ont eu du mal à faire adopter des lois telles que les projets de loi sur les retraites et l’immigration. En conséquence, ils ont invoqué à plusieurs reprises la clause de l’article 49.3a qui permet au gouvernement de promulguer des lois sans vote parlementaire qui, bien que constitutionnelle, doit être utilisée à titre exceptionnel. Sinon, comme dans le cas de la vision du monde des infirmières autorisées, le déviant devient la norme.
C’est peut-être C’est parce qu’il en avait assez de la paralysie parlementaire que Macron a décidé la dissolution. Comme l’a observé le politologue Bruno Cautrs, la décision de dissoudre une assemblée parlementaire est tout sauf un acte anodin dans une démocratie. C’est ce qui explique qu’il n’ait été utilisé en France que cinq fois depuis 1958 et la fondation de la Ve République. L’exemple le plus mémorable est l’œuvre de Charles de Gaulle lui-même.
En mai 1968, sa présidence, peut-être même la République, est menacée par la rébellion des étudiants et des travailleurs en grève qui ont paralysé la France. Dans un discours remarquable à la nation, de Gaulle a annoncé la dissolution de l’Assemblée nationale, proclamant que la République n’abdiquera pas ! (C’est le Premier ministre Georges Pompidou, également doué au craps, qui a lancé un ultimatum à un de Gaulle douteux : soit demander une dissolution, soit perdre un Premier ministre.)
De Gaulle a obtenu un onze : les électeurs français ont donné à son parti une solide majorité. Mais d’autres présidents qui se sont essayés ont eu moins de chance. En 1997, alors que Jacques Chirac était président depuis deux ans, il a lui aussi surpris la nation en dissolvant le Parlement et en annonçant de nouvelles élections. Son objectif, dit-il, était de redonner la parole au peuple, c’est-à-dire de renforcer sa position à droite et au centre. Pourtant, le peuple a soutenu l’opposition de gauche, forçant Chirac, dépité, à partager le pouvoir avec un Premier ministre socialiste, Lionel Jospin, pour le reste de son mandat.
Tout comme le Parti démocrate pense, peut-être par magie, que les électeurs américains, bien que pour la plupart se bouchant le nez, voteront pour la réélection du président Joe Biden, lorsque les Français entreront dans le bureau de vote pour deux tours de scrutin les 30 juin et 7 juillet. Le camp de Macron s’accroche également à cette même conviction. C’est ce qui explique son avertissement sévère selon lequel le vote obligera les Français à prendre leurs responsabilités. Ou bien, comme l’a insisté la députée Renaissance Cécile Rilhac, Macron oblige les électeurs à répondre à une seule question : êtes-vous vraiment sûr de vouloir voir notre pays gouverné par le Rassemblement national ?
Rilhac a peut-être raison. Historiquement, les élections européennes en France (ainsi que dans d’autres États membres de l’UE) ont été l’occasion d’exprimer un mécontentement général plutôt que de réelles intentions électorales. Comme le soutient la politologue Nonna Mayer, la fonction des élections européennes, notamment en France, est de proposer un vote sanction, un vote qui met en garde les politiques. De plus, ces élections attirent moins de citoyens que les élections nationales. Puisque près de la moitié de la population française n’a pas pris la peine d’aller voter le week-end dernier, il n’existe pas de base statistique ou comportementale large permettant de proposer une prévision précise pour les élections législatives.
Si la réponse à la question de Rilhac est oui, d’autres questions pressantes se poseront, à savoir si l’exercice du pouvoir nuira au RN au lieu de l’aider.
Macron pourrait être enthousiaste à l’idée d’une victoire du RN, dans l’espoir de répéter ce que le président François Mitterrand du Parti socialiste a accompli lors de son premier mandat dans les années 1980, lorsque l’opposition gaulliste a remporté les élections législatives, la première mais non la dernière instance de cohabitation ( lorsque le pouvoir exécutif est détenu par un parti, tandis que le pouvoir législatif est détenu par un autre).
À l’époque, Mitterrand se présentait comme un contrepoids républicain au programme conservateur que Chirac, alors Premier ministre, tentait d’imposer. Cela comprenait des lois sévères visant les immigrés sans papiers, y compris la révocation automatique de la nationalité française pour les enfants de ces immigrés nés sur le sol français, ainsi que des projets visant à rendre les universités publiques plus sélectives et plus coûteuses. Lorsque des centaines de milliers d’étudiants ont envahi les boulevards de Paris et d’autres villes en signe de protestation, Mitterrand a déclaré son soutien.
Le gouvernement Chirac, contraint de retirer la législation, s’est retrouvé de plus en plus impopulaire, à tel point que lors de l’élection présidentielle de 1988, Mitterrand, 71 ans, a largement battu son ancien Premier ministre.
Mais c’était Mitterrand à l’époque, pas Macron et maintenant. La politique et la personnalité de Macron ont aliéné de nombreux électeurs, en particulier ceux du centre gauche qui le soutenaient autrefois. En fait, son impopularité est si profonde et si large que près de 70 % de ceux qui avaient l’intention de voter aux élections européennes étaient motivés par leur opposition à Macron, selon un sondage de mai ; seule la mandature la plus désastreuse du RN pourrait inverser la tendance.
Étant donné la tendance de Macron à qualifier son gouvernement de jupitérien, rien de tout cela n’est surprenant, pas plus qu’une victoire du RN aux élections législatives, un événement que Macron aura contribué à provoquer s’il se produisait.
Il est probable que les élections se dérouleront alors que la France se prépare à accueillir les Jeux olympiques d’été. Il y a une chance que les athlètes du monde soient accueillis non seulement par le président français, l’incarnation supposée des valeurs universelles et humanistes du républicanisme français, mais aussi par un Premier ministre ethno-nationaliste qu’il a contribué à amener au pouvoir.
Que les jeux commencent.