Les médecins français étrangers souffrent d’insécurité alors que les hôpitaux en sous-effectif peinent à fonctionner
La situation de plusieurs milliers de médecins étrangers exerçant dans les hôpitaux français s’est compliquée depuis la fin du dispositif d’exonération mis en place lors de la pandémie de Covid-19. Près de 1 900 de ces praticiens ont désormais perdu le droit d’exercer, une grande perte pour les hôpitaux français déjà aux prises avec une pénurie de personnel médical. FRANCE 24 s’est entretenu avec certains d’entre eux.
La dernière visite de Karima* à la préfecture a été un véritable cauchemar, son titre de séjour n’ayant pas été renouvelé. « Je n’ai qu’un reçu », dit-elle. Et ce, alors qu’elle exerce la profession de chirurgienne orthopédiste pédiatrique, y compris aux urgences, où elle est de garde au moins quatre nuits par mois depuis deux ans dans un hôpital de banlieue parisienne. « Mes collègues de chirurgie générale m’ont demandé de venir les aider », raconte le chirurgien originaire d’un pays d’Afrique du Nord*. « Je ne vais pas les laisser tomber », dit-elle, même si elle ne sait pas combien de temps encore elle pourra pratiquer.
Même si l’hôpital a accepté de la laisser travailler, Karima craint que son contrat, renouvelé tous les six mois, puisse expirer. Elle fait partie des quelque 4 000 médecins diplômés hors de l’Union européenne connus sous le nom de « Padhue » (pour l’acronyme depraticiens diplms en dehors de l’Union europenne)qui travaillent depuis des années dans les hôpitaux français dans des postes précaires comme « interne par intérim ».
« Le travail que je fais est un vrai travail, un travail de praticien, même si je suis sous contrat de stage pour lequel je suis rémunéré 1 400 euros net et qui doit être renouvelé tous les six mois. La préfecture a refusé de renouveler mon titre de séjour. à cause de ces ruptures de contrat », explique la médecin, qui fait des allers-retours constants avec les autorités pour tenter de stabiliser sa situation. « Cette fois, la préfecture me demande une autorisation de travail délivrée par l’Agence régionale de santé, qui ne veut plus la délivrer, la loi ayant changé. »
Le 31 décembre 2023, le régime d’exonération qui permettait aux établissements d’employer le personnel de Padhue dans diverses conditions précaires a expiré, rendant impossible la poursuite du travail. Depuis le 1er janvier, ces médecins doivent passer des concours très sélectifs dits « épreuves de vérification des connaissances » (preuves de vrification des connaissances, ou EVC) avant de pouvoir être rétablis. Les postes dans le cadre de ce programme sont difficiles à trouver, avec 2 700 disponibles pour plus de 8 000 candidats en 2023, dont certains tentent leur chance depuis l’étranger. Résultat : la majorité des médecins de Padhue se sont retrouvés hors course cette année.
Après la levée de boucliers des syndicats français, le gouvernement a finalement promis de « régulariser un certain nombre de médecins étrangers » et a renouvelé d’un an leurs autorisations temporaires de travail pour qu’ils puissent passer l’EVC 2024.
Je ne comprends pas pourquoi je ne suis pas jugé sur mon expérience ici
Cependant, les problèmes de Karima sont loin d’être terminés, puisqu’elle a tenté de passer l’EVC en chirurgie orthopédique pédiatrique en 2023, mais sa candidature a été rejetée. « On me dit que je n’ai pas le bon diplôme, qu’il me faut un diplôme en orthopédie pédiatrique, mais mon pays ne propose pas ce type de diplôme ! Je ne comprends pas pourquoi je ne suis pas jugé sur mon expérience ici. Je j’opère toute seule, je consulte, j’ai mes propres patients », raconte-t-elle.
Lorsqu’elle est arrivée en France en 2020, elle n’avait pas de projet à long terme pour vivre de ce côté de la Méditerranée. « J’avais été envoyée en France pour une formation complémentaire en chirurgie orthopédique car j’avais constaté des lacunes dans le service où je travaillais en Afrique du Nord », raconte-t-elle. Mais après presque deux ans comme stagiaire associée dans un CHU de Nice, Karima se retrouve bloquée en France à cause de la pandémie de Covid-19 et de la fermeture des frontières de son pays. Elle a également perdu son emploi en Afrique du Nord.
À Nice, elle a travaillé en première ligne pendant la pandémie de Covid-19 aux côtés du personnel médical français, prêtant main forte aux soins intensifs. « Nous avons sauvé des vies. Et nous continuerons de le faire. C’est ce que nous faisons. Parfois, aux urgences, je me retrouve dans une situation où je dois réagir en une fraction de seconde, faire le bon choix et prendre la bonne décision. » pour sauver quelqu’un. »
Je fais régulièrement mes valises
Parfois Karima pense à retourner en Afrique du Nord. « Je me pose la question de savoir si je peux continuer dans cette situation. Mais j’ai un métier que j’aime, surtout les enfants. Je suis attachée à mes patients. Quand je vois dans leurs yeux qu’ils sont satisfaits, je me sens utile. » Cependant, elle songe de plus en plus à partir, car elle souhaite une vie où elle puisse planifier au-delà du quotidien. « Je me retrouve régulièrement à faire mes valises. J’hésite à commander de nouveaux meubles. » Ses proches lui ont proposé de postuler pour un emploi en Allemagne. « Certains de mes collègues y sont allés. Ils ont été acceptés sur dossier et ont suivi des cours d’allemand », raconte-t-elle.
Dans un contexte de système de santé débordé, la France a désespérément besoin de personnel médical supplémentaire, mais risque de perdre des milliers de ces médecins au profit d’autres pays européens.
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Le Dr Aristide Yayi est originaire du Burkina Faso et diplômé en médecine légale à Dakar, au Sénégal. Il exerce depuis trois ans comme médecin généraliste au sein de la seule maison d’hébergement pour personnes âgées (« Ehpads », en France) à Commercy, petite ville du nord-est du département de la Meuse. Le secteur français des soins aux personnes âgées a désespérément besoin de médecins. « Mon contrat court jusqu’en juillet 2024. Après, je ne sais pas ce qui va se passer », confie Yayi. Il souhaite développer un service de gestion de la douleur pour les résidents des Ehpad, mais ce projet pourrait ne jamais voir le jour si sa situation ne se stabilise pas. « J’enchaîne les formations, avec des contrats de six mois comme ‘stagiaire intérimaire’. C’est toujours incertain et précaire. J’ai l’impression d’être traité comme un jeune médecin », raconte-t-il.
Les services hospitaliers menacés sans médecins étrangers
Plusieurs chefs de services hospitaliers, notamment en région parisienne, ont prévenu qu’ils seraient « contraints de fermer » si plus aucun médecin étranger n’était embauché. Lors de sa conférence de presse du 16 janvier, le président Emmanuel Macron a reconnu que la France avait besoin de ces praticiens, affirmant vouloir « régulariser un certain nombre de médecins étrangers, qui contribuent à la cohésion de notre système ». Cette promesse a été réitérée par le nouveau Premier ministre Gabriel Attal dans son discours de politique générale fin janvier.
Les syndicats français exigent désormais que ces discours soient suivis d’actions. Lors d’une réunion avec le ministère de la Santé, le 15 février, ils ont salué la publication, la veille, du décret renouvelant les autorisations temporaires de travail pour les médecins étrangers qui s’engagent à passer l’EVC 2024. Cependant, Olivier Varnet, secrétaire général du Syndicat national des médecins hospitaliers FO, a critiqué le décret, estimant qu’il s’agissait d’un « premier pas » qui « ne fait que repousser le problème d’un an ».
Pendant ce temps, les médecins étrangers souffrent, puisque près de 1 900 d’entre eux ne peuvent actuellement pas travailler. « Mon ancien service cherche désespérément quelqu’un pour me remplacer. Ils ont vraiment du mal. J’étais responsable de deux unités de 20 patients chacune. C’est absurde », déclare Mostapha, qui travaillait dans une unité de soins de suite et de réadaptation à La Normandie. Son contrat de « praticien associé » a été suspendu le 1er janvier, car il n’était pas autorisé à passer les tests de vérification de ses connaissances. « L’hôpital voulait me garder, mais la régie régionale de la santé ne l’a pas autorisé », raconte-t-il.
Certains candidats ont échoué, même avec les meilleures notes
Diplômé de la Faculté de médecine physique et de réadaptation d’Alger, il a suivi son épouse, de nationalité française, en France il y a trois ans. « Je n’ai aucun problème avec mes papiers, j’ai un titre de séjour de 10 ans », assure-t-il.

Mostapha espère que son cas sera examiné de plus près et que le nouveau décret lui permettra de reprendre le travail. Cependant, il ne croit pas vraiment que passer l’examen l’aidera à remettre sa carrière sur les rails : « Je compte le repasser car pour l’instant il n’y a pas d’autre solution, même si les chances de le réussir sont de plus en plus petites en raison du nombre de messages. C’est pire que sélectif.
De nombreux syndicats estiment que l’examen reflète davantage un système de quotas qu’une véritable « vérification des connaissances ». « Certains candidats ont échoué avec une moyenne supérieure à 15 (sur 20, un résultat très compétitif) », précise Laurent Laporte, secrétaire général du Syndicat fédéral des médecins, ingénieurs, cadres et techniciens de la CGT. Les syndicats estiment que ce test est « trop académique », « aléatoire », « opaque » et « discriminatoire pour les médecins travaillant plus de 60 heures par semaine ». Le ministère de la Santé a promis le 15 février de « reformuler l’EVC » en la rendant plus pratique.
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Cet article a été traduit de l’original en français.