Le changement de Premier ministre en France ne relancera pas le gouvernement d’Emmanuel Macron

Au terme de dix-neuf mois de mandat de Premier ministre français, Lisabeth Borne a semblé vouloir rappeler qu’elle était, malgré toutes les preuves du contraire, une femme de gauche. Faisant clairement savoir qu’elle ne partait pas volontairement, la déclaration de démission de Borne faisait presque directement écho aux mots avec lesquels le socialiste Michel Rocard avait quitté le bureau du Premier ministre en 1991. La référence de Borne aux gouvernements de centre-gauche des décennies passées était : Le Monde a observé, un symbole de ses références de gauche même si l’acte final de son administration a été l’adoption d’une réforme de l’immigration saluée par l’extrême droite comme sa propre victoire idéologique.

La législation adoptée le mois dernier par Borne avec l’aide des députés conservateurs de l’opposition a renforcé de manière punitive les règles en matière de migration, provoquant la colère même parmi certains macronistes plus libéraux. Il limite l’accès aux prestations, plafonne globalement le nombre d’étrangers arrivant et facilite l’expulsion des délinquants même s’il ne s’agit pas de condamnés criminels. Mais ce n’est pas la seule raison pour laquelle ce gouvernement fut l’un des plus réactionnaires de mémoire récente. Plus important encore, il a relevé l’âge de la retraite de soixante-deux à soixante-quatre ans malgré des mois d’opposition sociale massive. L’année dernière, il a également réduit les allocations versées aux demandeurs d’emploi, imposant une réduction de 25 pour cent de la durée des allocations en période de chômage global modeste.

Si ce programme était certainement une attaque ambitieuse contre le modèle social français, Borne est souvent présenté comme un Premier ministre boiteux, manquant d’une base de soutien solide. Macron l’a nommée lors de sa réélection à la présidence en mai 2022, avant de perdre sa majorité parlementaire lors des élections à l’Assemblée nationale de juin. Avec seulement 250 législateurs sur 577 sur lesquels compter, le gouvernement Bornes négociait généralement l’aide de l’opposition (c’est-à-dire normalement Les Républicains, une force gaulliste-conservatrice autrefois puissante) ou bien utilisait le 49.3, un article constitutionnel lui permettant d’adopter des projets de loi sans vote au Parlement. Alors que la gauche, notamment La France Insoumise de Jean-Luc Mlenchon, a farouchement dénoncé le recours continu de Borne à cette mesure comme étant antidémocratique, elle l’a justifiée en citant son utilisation passée par des gouvernements comme Rocards.

Lors de sa première campagne présidentielle réussie en 2017, le jeune et brillant Macron avait promis d’unir la gauche et la droite. Lui-même ministre des Finances dans le gouvernement socialiste précédent, Macron a poursuivi ce que les universitaires Stefano Palombarini et Bruno Amable ont appelé un bloc bourgeois, unissant les anciennes forces socialistes, gaullistes et centristes au nom de la résistance au populisme et transformant la France en une jeune nation fastueuse. Technocrate de carrière et ancien directeur des transports publics parisiens, mais aussi ancien directeur de cabinet du ministre socialiste de l’écologie, Sgolne Royal appartenait à la partie théorique de gauche de cette coalition. En tant que ministre des Transports en 201719, elle a mené une guerre contre les syndicats ferroviaires et a fait avancer la privatisation des trains français. Pourtant, sa nomination en 2022 au poste de Premier ministre à la place du gaulliste Jean Castex a été considérée comme un coup de pouce aux progressistes macronistes.

Moins de deux ans plus tard, Macron tente à nouveau de relancer son gouvernement en lui donnant un nouveau visage. Le nouveau Premier ministre annoncé mardi, Gabriel Attal, ancien ministre des Comptes publics, qui a récemment repris le dossier de l’Éducation nationale, est à nouveau présenté comme faisant partie de l’aile gauche de la majorité Macron. Attal est, comparé à Borne, un acteur médiatique bien plus assuré ; il a souvent défendu la réforme des retraites du gouvernement, notamment dans une série d’affrontements avec le parti de gauche Mlenchon. L’ascension de l’homme de trente-quatre ans, qui sera également le premier Premier ministre ouvertement gay de France, fait vaguement écho à l’ascension initiale de Macron lui-même en tant que jeune libéral parvenu, et la rumeur dit qu’il serait un possible candidat à la présidentielle de 2027. aux côtés d’autres leaders potentiels du bloc centre/centre-droit, comme Douard Philippe.

Comment cela se passe-t-il à gauche et à droite ? Le gouvernement Macron fait certainement des efforts continus pour conserver ses attributs sociaux-libéraux : notamment un projet visant à introduire le droit à l’avortement dans la constitution au cours de l’année à venir. Pourtant, sa lutte contre Marine Le Pens Rassemblement National (RN) se déroule aujourd’hui sur un terrain nettement plus à droite et national-identitaire que lors de la première élection de Macron en 2017. Ce parti d’extrême droite est de plus en plus accueilli dans la respectabilité dominante, alors que le une plus grande diabolisation est plutôt dirigée contre ce que les ministres Macron appellent l’islamo-gauche de la France Insoumise. En tant que ministre de l’Éducation, Attal lui-même a récemment démontré la détermination du gouvernement à ne pas être perçu comme indulgent envers l’Islam, en interdisant en août le port de l’abaya (une robe ample portée par quelques centaines de filles musulmanes) dans les salles de classe.

Attal est présenté comme un excellent communicant, à l’heure où le Rassemblement national Jordan Bardella est en lice pour les élections européennes de juin. Déjà lors du dernier vote de ce type, il y a cinq ans, l’extrême droite devançait le parti de Macron, mais les sondages actuels donnent à la liste Le Pen une avance de dix points de pourcentage. Les forces combinées de la gauche, qui avaient formé en 2022 la Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale ou alliance NUPES, totalisent à peu près les mêmes soutiens que le RN mais leurs forces sont fatalement divisées. Les affrontements liés à la guerre à Gaza ont officiellement mis fin à l’alliance. Mais le problème le plus profond réside dans l’aversion de longue date des partis de centre-gauche à l’égard du leadership de la France Insoumise et dans leur réticence à laisser son influence s’étendre aux niveaux européen et municipal où ils conservent davantage de soutien. Mais il existe également un problème plus vaste. En général, l’extrême droite réussit mieux à mobiliser différents types de dissidence, arrachant les électeurs du centre-droit mais capturant également une grande partie du mécontentement de la classe ouvrière à l’égard de la politique sociale macroniste.

Avec l’arrivée d’Attal, le leadership politique français rajeunit à nouveau, même si la carrière de la plupart des travailleurs s’étend jusqu’à un âge avancé. Non seulement l’adoption de politiques punitives sur l’immigration, mais aussi cette fracture sociale, le mépris des élites pour la classe ouvrière en France et les conséquences matérielles des réformes des retraites et de la protection sociale effondrent le vieux centre-gauche et renforcent le vote de Le Pen. Pour la France Insoumise, dénoncer aujourd’hui l’absence de processus démocratique sous Macron, exigeant que le mandat d’Attal soit soumis à un vote de confiance à l’Assemblée nationale, contribue à se présenter comme la voix des ignorés et des non représentés. Pourtant, dans une grande partie de la France périurbaine et rurale, le Rassemblement National connaît beaucoup plus de succès dans ce sens, fusionnant une défense largement platonique du modèle social français avec un programme économique vague conçu pour plaire à tous.

Quelle chance de l’arrêter ? L’un des rares cas où Borne a donné une idée de son sentiment d’être de gauche a été lorsqu’elle a qualifié le Rassemblement National d’héritier de Ptain, rejetant la normalisation de ce parti. Formellement correcte, et tout à fait justifiable de la part de cette fille d’un survivant de la Shoah, cette condamnation acerbe du parti Le Pens se heurte cependant à l’indulgence continuelle de ses arguments sur la migration et l’identité nationale et fait en effet son jeu en alimentant la dissidence sociale qui permet à son message d’atterrir. A plus de trois ans de l’élection présidentielle, l’arrivée éventuelle de Le Pen à la tête de l’Etat n’est pas tout à fait assurée. Mais comme le gouvernement Macron ne change pas de cap de manière significative, cela devient de plus en plus probable. Pour une gauche divisée, la victoire probable du Rassemblement national aux élections européennes de juin devrait être un signal d’alarme urgent.

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