L’Église catholique française fournira au clergé des pièces d’identité scannables pour lutter contre les abus sexuels

Les vieux péchés jettent de longues ombres. Après des siècles de secret, la Conférence des évêques de France (CEF) a décidé d’être plus transparente en équipant les prêtres, les évêques et les diacres de cartes d’identité numérisées et scannables. Pas plus grosses qu’une carte bancaire, les pièces d’identité certifieront si son titulaire est apte ou non à faire un sermon ou a le droit d’entendre la confession.

Essentiellement, les cartes indiquent si le membre de l’Église fait ou non face à une accusation d’abus sexuel.

Lorsque l’annonce est tombée le mercredi 10 mai, elle a déclenché une mini-révolution au sein de l’Église catholique française. L’évêque de Troyes, une ville de l’est de la France, l’a qualifié de changement culturel.

En scannant simplement un code QR sur ces identifiants, n’importe qui peut accéder à des informations codées par couleur sur un membre du clergé. Le vert signifie qu’il n’y a aucune restriction pour qu’ils dirigent une messe ou entendent des aveux. Orange indique que certaines restrictions sont en place, mais pas nécessairement que le membre du clergé est un agresseur (par exemple, un jeune prêtre peut avoir été récemment ordonné et n’est pas encore qualifié pour diriger la messe ou la confession). Le rouge est réservé à une personne qui ne peut plus prêcher ou pratiquer, ou qui a été déchue de son statut clérical mais dont la nature de la sanction n’est pas précisée.

>> En savoir plus : Réparations pour abus sexuels d’enfants : comment l’Église catholique française paiera-t-elle ?

Une version papier obsolète

Une carte d’identité pour les évêques, les prêtres et les diacres n’est pas une idée entièrement nouvelle. Le clergé de l’Église catholique française a toujours eu ce qu’on appelle un célèbre, un document papier attestant de leur profession. Mais les évêques français ont jugé le système trop facilement falsifiable et compliqué à mettre à jour, ils ont donc opté pour une version numérique.

Les évêques français ont d’abord décidé d’utiliser les nouvelles cartes lors d’une conférence en 2021 à la suite d’un rapport accablant publié par la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église catholique (Ciase). Il nous a semblé essentiel de voir ce que nous pouvions changer pour rendre l’Église plus sûre en matière d’abus sexuels, a expliqué Alexandre Joly, évêque de Troyes et porte-parole de la conférence, lors d’un point presse.

La mesure vise également à respecter les victimes qui ne comprennent pas, à juste titre, pourquoi quelqu’un qui a commis des actes graves peut continuer à faire la messe ou à passer aux aveux.

Christine Pedotti, qui dirige l’hebdomadaire chrétien « Tmoignage Chrétien », a déclaré que les papiers d’identité « avaient toujours été utilisés par les prêtres en voyage, par exemple pour prouver à un autre prêtre qu’ils étaient autorisés à co-diriger une messe .

La version numérique mise à jour d’aujourd’hui est plus moderne et dispose d’une nouvelle fonctionnalité qui permet à quelqu’un de vérifier si le prêtre a été suspendu. C’est une bonne idée compte tenu du contexte actuel, et cela devrait s’avérer très utile, a-t-elle déclaré.

Les associations de victimes de maltraitance ont dénoncé à plusieurs reprises les carences de l’Eglise catholique française. Des prêtres connus sous le nom de gyrovaguescomme dans, suspendus de leurs fonctions mais qui continuent à se présenter comme prêtres dans les communautés religieuses sont assez courants, a noté Pedotti.

L’exemple le plus frappant est le cas des frères Philippe. Marie-Dominique Philippe, condamnée en 1957 par le Vatican pour complicité d’agressions sexuelles, et son frère Thomas, ont tous deux pu fonder ou co-fonder plusieurs communautés et associations religieuses sans souci car l’accusation portée contre Marie-Dominique avait été oubliée.

Aujourd’hui, les évêques sont censés gérer plusieurs centaines de prêtres sans vraiment avoir aucun moyen de les contrôler, a déclaré Pedotti. Mais le terme épiscopal, qui vient du grec épiscopos, signifie tuteur ou surveillant. Il était temps qu’ils soient équipés d’outils modernes pour s’assurer qu’ils peuvent s’acquitter de leurs responsabilités.

L’une des trois idées les plus stupides de l’Église

Les nouvelles cartes d’identité ne visent pas à permettre aux fidèles de retrouver les membres du clergé, mais à donner aux prêtres ou aux laïcs en charge d’une paroisse un outil pour vérifier la légitimité de chaque personne, a déclaré Pedotti. La grande majorité des catholiques ignoraient auparavant que les cartes d’identité papier existaient en premier lieu. Il n’y a plus de raison pour eux de demander une pièce d’identité maintenant.

Les organisations qui représentent les victimes d’abus sexuels par l’Église catholique ne sont pas nécessairement convaincues.

C’est une mesure tout à fait exceptionnelle qui, à mon avis, fait partie des trois idées les plus stupides de l’Église catholique, a déclaré François Devaux, ancien président de La Parole Libre, une organisation créée en 2015 par des victimes de l’ancien prêtre catholique. etpédophileBernard Preynat.

Si nous devons scanner les codes QR des membres du clergé pour rassurer les catholiques, cela signifie que l’Église a atteint un nouveau creux. Ce n’est qu’un coup de pub et cela montre à quel point la confiance a été rompue entre les fidèles et leur hiérarchie, a poursuivi Devaux, bouleversé par l’annonce.

Cette nouvelle ineptie est un signe de l’oisiveté de l’Église. Il n’a pas compris les critiques auxquelles il a été confronté, et il ne le veut pas non plus. En tout cas, l’initiative est bien loin des mesures qui étaient recommandées dans le rapport Ciase, a-t-il conclu.

« Ce n’est tout simplement pas assez »

Parmi les 45 mesures préconisées dans le rapport Ciase, publié le 5 octobre 2021, il n’est fait aucune mention d’une carte d’identité numérique.

Je suis d’accord avec François Devaux que cette mesure ne répond pas aux demandes formulées par la commission. C’est un petit outil qui, comparé à l’ampleur du problème, n’est tout simplement pas suffisant, a déclaré Pedotti.

Le rapport se concentre sur le fait de donner plus de pouvoir aux laïcs, sur la redistribution du pouvoir. Sur des sujets [of sexual abuse]l’Église catholique française n’a pas apporté de solution et n’a pas répondu à cette question fondamentale : Pourquoi certains prêtres se prennent-ils pour des dieux, au point de penser qu’ils peuvent se prévaloir des corps d’autrui ?

Les nouvelles fonctions high-tech de la carte soulèvent également des questions éthiques. Une carte d’identité qui peut inclure des informations sur les infractions d’une personne, qu’il s’agisse d’une condamnation pour abus sexuels ou d’autres crimes, a suscité un débat sur les plateformes de médias sociaux, beaucoup y voyant une dangereuse pente glissante vers la violation de la vie privée.

Une des nombreuses solutions

Malgré le contrecoup, l’Église catholique française affirme que le nouvel outil n’est qu’une des nombreuses solutions visant à lutter contre les abus sexuels, à faire en sorte que nous soyons désormais dans une culture de transparence et de bien traiter les autres, a déclaré Matthieu Roug, l’évêque de Nanterre, dans une interview accordée à la chaîne de radio RMC jeudi.

La priorité absolue reste l’accompagnement des victimes et la formation des prêtres.

La Conférence épiscopale française a promis que les 18 000 prêtres et diacres du pays recevront leurs codes QR d’ici la fin de l’année. Les évêques les ont déjà reçus.

Chaque diocèse et congrégation religieuse mettra à jour annuellement les données concernant ses évêques, prêtres et diacres. Si un membre du clergé fait l’objet d’une sanction canonique, la mise à jour numérique sera immédiate.

L’Église catholique française progresse, a déclaré Pedotti, car elle encourage de plus en plus de personnes à s’exprimer.

Des cas d’abus sexuels continuent d’être signalés, mais maintenant ils sont signalés. L’impunité dont ils bénéficiaient auparavant est en train de changer en France. On ne peut pas en dire autant de l’Italie ou de la Pologne, par exemple.

Et pourtant, il reste encore tant à faire, tant en France qu’à travers le monde, a-t-elle déclaré.

Cet article a été traduit de l’original en français par Lara Bullens.

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