La nouvelle loi française respectueuse du climat oppose les startups aux gouvernements locaux
Pour quelques euros, les Strasbourgeois peuvent apporter en quelques points de la ville leurs pelures de banane et leur marc de café, qui sont ensuite transformés en énergie. Les coquilles d’œufs du petit-déjeuner deviennent légères pour les maisons.
Tout cela grâce à la startup Green Phoenix, qui opère dans la ville de l’est de la France depuis 2019. Avant cela, les habitants jetaient simplement ces déchets à la poubelle. La startup peut collecter environ 10 tonnes de déchets par semaine et a des partenariats avec une entreprise locale de services publics et de déchets.
Mais Green Phoenix pourrait bientôt devoir faire face à un nouveau concurrent : le gouvernement.
A partir du 1er janvier,2024, chaque foyer en France doit pouvoir recycler ses déchets alimentaires chez lui, et les collectivités locales sont tenues de proposer des poubelles de collecte à ses habitants. Les collectivités locales n’ont plus d’autre choix que de se lancer dans la collecte des déchets alimentaires.
Bien que cela puisse donner un coup de pouce aux startups qui offrent les moyens de trier les déchets biodégradables aux ménages individuels, cela pourrait signifier moins d’affaires pour certains.
Les investisseurs et les fondateurs disent qu’il est globalement positif que davantage de gouvernements soient obligés de prendre des mesures sur les questions de durabilité. Mais comme le montre le cas des startups françaises de recyclage des biodéchets, des agendas climatiques nationaux plus importants peuvent opposer les innovateurs et les services publics, même si leur objectif est le même.
Les collectivités locales se lancent dans la collecte des biodéchets
La collecte et le recyclage des biodéchets sont devenus des domaines prisés par les startups ces dernières années, stimulés par un intérêt croissant pour la réduction des déchets et l’économie circulaire. Partout en France, des marques comme Les Alchimistes, OuiCompost, Green Phoenix et BicyCompost ont été lancées ces dernières années pour combler le vide. Selon l’ADEME, l’agence française pour la transition écologique, les déchets organiques représentent environ 30 % des ordures ménagères.
Mais les autorités locales, notamment à Strasbourg, Bordeaux et Loches Sud Touraine, ont elles-mêmes expérimenté la collecte des biodéchets en préparation des nouvelles règles. Et tandis que certaines autorités choisissent de travailler avec des startups et le secteur privé, d’autres veulent le faire elles-mêmes.

Green Phoenix ne travaille pas encore avec les collectivités sur la collecte globale des biodéchets à Strasbourg. Cependant, elle a collaboré à des projets spécifiques, comme la collecte des déchets alimentaires du marché de Noël. Le cofondateur Daniel Monjaraz Perez indique que le groupe participe actuellement à des groupes de travail et vise à se soumettre à des appels d’offres publics pour remporter des contrats de collecte depuis le centre-ville.
L’objectif est que les pouvoirs publics puissent lancer des marchés publics auxquels on puisse répondre pour collecter les déchets des particuliers et dont le coût serait inclus dans leurs impôts, précise-t-il.
Strasbourg et ses environs, où les Verts ont remporté les élections locales en 2020, ont mené leur propre expérience de tri et de collecte des déchets organiques, qui semble jusqu’à présent être un succès.
Un porte-parole indique que la première étape du déploiement a été achevée dans les communes de moins de 10 000 habitants en 2022 et que de nouvelles bornes de collecte seront mises en place dans tous les quartiers de Strasbourg d’ici 2025. Au total, 1 800 bornes sont prévues.
Le budget estimé du projet est de 10,4 millions d’investissements initiaux et de 3,7 millions d’euros de fonctionnement par an. Comme Strasbourg collecte les déchets gratuitement, il n’y a aucun coût initial pour les citoyens, contrairement à Green Phoenix, qui facture 5 pour 10 laissez-passer de recyclage et 4 et 5 pour un petit et un grand seau, respectivement. Mais ce budget serait financé par l’argent des contribuables.
A Bordeaux, BicyCompost collecte depuis 2020 les déchets des entreprises, comme les restaurants et les crèches, et les transforme en compost. L’abonnement coûte 30 par mois pour un seau de 22 litres collecté chaque semaine. Pour chaque seau supplémentaire, les entreprises paient 15 par mois.
Le cofondateur Pacome Becerro dit qu’il ne cherche pas à répondre aux besoins des particuliers car cela relève de la compétence de la ville, même s’il pense que les autorités locales sous-traiteront à des entreprises privées.
Mais là encore, la commune de Bordeaux a mené sa propre expérimentation de collecte et de valorisation. Un porte-parole de la ville dit être en train de contacter les entreprises pour connaître leurs solutions, mais ajoute que la taxe pour l’enlèvement des ordures ménagères ne doit pas être destinée au profit des entreprises privées.
Place aux partenariats avec des startups
Axele Gibert d’Europe cologie-Les Verts, le parti écologiste en France, dit qu’elle pense que la collecte des biodéchets devrait être effectuée par les services municipaux.
Globalement, il est important que la gestion des déchets, qu’ils soient biodéchets ou non, reste de la compétence des institutions publiques, pour des raisons de gouvernance, dit-elle.
La logique première doit être la réduction des déchets, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui car [private waste management organisations] n’ont aucun intérêt à réduire la quantité de déchets »
Cependant, elle dit qu’il pourrait y avoir plus de place pour des partenariats avec des startups lorsqu’il s’agit de recycler les déchets, comme les transformer en compost, afin de récupérer au mieux la grande quantité de matière qui sera récupérée. Cela pourrait donner lieu à un appel d’offres par les collectivités locales pour permettre aux startups de proposer des designs innovants pour l’upcycling, selon elle.
Mais elle est également sceptique quant au rôle des entreprises privées dans la gestion des déchets ; en France, tandis que les communes collectent les déchets, des entreprises privées en supervisent la gestion.
La logique première doit être la réduction des déchets, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui car [private waste management organisations] n’ont aucun intérêt à réduire la quantité de déchets car cela entraînerait une diminution de leurs revenus.
Certaines startups voient encore de la croissance alors même que les gouvernements entrent sur le marché
Cyrielle Callot, directrice générale de la startup de collecte et de compostage des biodéchets Les Alchimistes, affirme que la réglementation à venir et la forte volonté des citoyens de valoriser leurs déchets alimentaires donneront un coup de pouce aux entreprises, même si certaines collectivités locales choisissent de le faire elles-mêmes.

L’entreprise, qui dispose de 10 usines de compostage, a remporté les appels d’offres des communes où elle intervient pour la collecte des biodéchets des sites professionnels. Callot affirme que le marché s’ouvre désormais aux ménages, preuve que la coexistence entre les startups de biodéchets et les gouvernements est possible.
La startup opère dans 13 villes et s’est développée depuis Paris en prenant des participations minoritaires dans des sociétés similaires dans des villes comme Lyon et Montpellier et en reprenant les opérations d’une société liquidée à Nantes.
Actuellement, Les Alchimistes collectent plus de 12 000 tonnes de biodéchets par an. L’objectif est d’être présent dans 30 villes d’ici quelques années et d’avoir 10% de part de marché, ce qui reviendrait à collecter 300 000 tonnes de déchets par an.
Rien que ce mois-ci, le groupe a levé 10 millions auprès d’investisseurs dont Amundi Finance et Solidarit et Swen Capital.
Pour BinHappy, startup normande, les exigences réglementaires présentent une opportunité intéressante pour l’entreprise de s’associer aux collectivités locales.
Caroline Gonneville, responsable commerciale, explique que l’entreprise peut non seulement assurer la collecte, mais aussi soutenir les collectivités locales en leur montrant les bonnes pratiques de tri, en sensibilisant les habitants et en améliorant la réduction des déchets.
Nous nous appuyons sur cinq ans d’expertise dans ce domaine et sur notre grande flexibilité pour répondre aux différentes contraintes des collectivités avec notre offre sur-mesure. Cependant si les collectivités locales choisissent de collecter et de traiter elles-mêmes leurs biodéchets, nous pouvons appliquer notre savoir-faire pour accompagner les professionnels, pour qui l’obligation ne relève pas de la collectivité, précise-t-elle.
Selin Bucak est un rédacteur financier indépendant basé à Paris. Elle tweete de @SelinBucak2