Emmanuel Macron et la stratégie indo-pacifique de la France

Emmanuel Macron et la strategie indo pacifique de la France

Le président français Emmanuel Macron [Photo/Agencies]

A l’heure où les tensions anciennes et nouvelles montent en Asie-Pacifique, l’invitation du Premier ministre thaïlandais Prayut Chan-o-cha à Emmanuel Macron pour l’APEC 2022 permet d’évoquer la stratégie de la troisième voie proposée par la France, qui cherche à s’inscrire dans la sécurité et le développement de cette région du monde.

Les pays d’Asie-Pacifique, appelés à devenir le futur moteur de l’économie mondiale au XXIe siècle, poursuivent depuis plus de 30 ans leur intégration géoéconomique en étroite relation avec la Chine. Aucun ne veut être ni victime de conflits importés par les Etats-Unis ni remonter en 1955 au non-alignement de Bandung, alors que les investissements de la Chine sont indispensables à leur développement. Dans cette région, la France joue le rôle d’une moyenne puissance insulaire, avec des territoires allant de La Réunion à la Polynésie française, confrontés aux mêmes enjeux que les pays d’Asie du Sud-Est : sécurité des eaux territoriales, connectivité par les infrastructures numériques et physiques, promotion du multilatéralisme et création de biens publics mondiaux axés sur le climat et la biodiversité. Ces quatre enjeux façonnent la stratégie globale de la France dans l’Indo-Pacifique depuis 2018.

Depuis le « coup de poignard dans le dos » de l’alliance AUKUS en 2021, la stratégie indo-pacifique de la France est moins centrée sur l’axe Paris-Dehli-Canberra et davantage sur les relations France-Inde et France-Japon, ce qui pourrait déboucher sur de nouvelles alliances bilatérales. et un recentrage sur l’Asie du Sud-Est avec Singapour, la Malaisie, le Vietnam et l’Indonésie comme priorités. L’Indonésie devient l’un des acteurs clés de ce virage stratégique français, dont les actions s’inscrivent dans le cadre du développement de la sécurité de l’Indonésie et de la transition vers une économie verte.

Ainsi, la vente de 42 avions de chasse Rafale en janvier 2022 et la signature en novembre 2022 d’un mémorandum entre le groupe naval français et l’indonésien PT Pal concernant la construction de la prochaine génération de sous-marins, renforcent l’engagement trilatéral de l’Indonésie avec Singapour et la Malaisie pour assurer ses missions de patrouille dans le détroit de Malacca. Quant à la transition écologique, le gouvernement indonésien intègre l’expertise de l’Agence française de développement dans ses programmes officiels mais il peut aussi compter sur l’engagement d’entrepreneurs dans des secteurs clés. Le fabricant de semi-conducteurs Deka fournit des solutions essentielles pour le marché des panneaux solaires à l’appui de la stratégie à long terme du pays.

L’approche complémentaire de la France face aux enjeux de sécurité et de développement de l’Asie-Pacifique n’a rien à voir avec les investissements chinois et les jeux d’alliances politiques régionales menés par les États-Unis. Cependant, la position française suscite une certaine émulation dans les pays européens, des Pays-Bas et de l’Allemagne à l’Union européenne, tout en contrebalançant la stratégie américaine d’imposer aux pays d’Asie du Sud-Est un alignement avec son blocus et son confinement technologiques. politiques contre la Chine.

L’engagement de la France et de l’UE à soutenir les stratégies de sécurité intérieure et de développement de ces pays sans exclure la Chine est une contribution précieuse au développement du multilatéralisme régional et de la paix en mer de Chine méridionale. Cela pourrait faciliter l’adoption du code de conduite entre la Chine et les pays voisins pour mieux coordonner les défis sécuritaires et les intérêts économiques.

La troisième voie prônée par la stratégie indo-pacifique d’Emmanuel Macron pourrait s’inscrire dans la Global Security Initiative et Global Development Initiative, promues dans le discours de Xi Jinping lors du 29e Sommet de l’APEC, puisqu’elles s’opposent à la « militarisation » du commerce international au nom de la sécurité nationale d’un pays. Ainsi, une approche efficace des intérêts de l’Asie du Sud-Est inspirée des stratégies globales de la France et de la Chine permettrait d’éviter une impasse avec les États-Unis. Dans le cas contraire, l’issue la plus probable est la polarisation de la gouvernance de l’Asie-Pacifique entre la Chine et les États-Unis, qui accroîtrait encore l’instabilité de la sécurité régionale, conduisant ainsi à une carence en biens publics mondiaux et, à terme, à une crise de l’économie mondiale de dont aucun pays ne sortira indemne.

La question des semi-conducteurs, évoquée en marge de l’APEC, est une parfaite illustration de cette spirale néfaste qu’il faut briser au plus vite. Cet enjeu est central car il renvoie à la sécurité commune et à la transition écologique en Asie-Pacifique tout en ayant un impact global. Ainsi, l’alliance CHIP 4 (États-Unis, Taïwan, Japon, Corée du Sud), sous-tendue par une conception des enjeux régionaux comme une question de stabilité hégémonique, accroît les tensions autour de Taïwan et de son fleuron industriel TSMC, mais aussi en Corée du Sud avec Samsung juste car il freine la transition écologique dans le monde. En revanche, la vision indo-pacifique présentée par Emmanuel Macron dans son discours à l’APEC s’enracine dans une « stabilité stratégique » équilibrée de ces enjeux, exprimant clairement son refus de l’hégémonie d’une puissance au profit d’une sécurité commune garantie par l’ordre international. et la souveraineté.

Si cette approche de l’Indo-Pacifique est d’abord analysée comme l’héritage direct du Gaullo-Miterrandisme définissant l’autonomie stratégique française, elle reflète plus profondément la croyance politique personnelle d’Emmanuel Macron en un réalisme moral dans lequel le degré de responsabilité des États sur la transition écologique conditionnent leur degré de crédibilité stratégique sur la scène internationale. Pour cette raison, le président français insiste sur la nécessité d’une Asie-Pacifique libre et ouverte, seul moyen de mettre en place une gouvernance économique régionale verte et bénéfique au monde.

Cette position a été saluée par la Chine, qui est toujours restée inébranlable dans sa diplomatie verte, et par l’administration Biden, qui veut mettre fin à la pause climato-sceptique sous Trump avec son envoyé spécial présidentiel pour le climat John Kerry. De ce point de vue, les visites d’Etat d’Emmanuel Macron à Washington les 1er et 2 décembre et celle prévue à Pékin début 2023 montrent l’ambition française d’incarner cette dynamique d’équilibre et d’entraîner avec elle l’Union européenne. En attendant, la rencontre prévue entre le président du Conseil européen Charles Michel et le président Xi Jinping le 1er décembre à Pékin devrait permettre d’engager un dialogue avant que l’UE ne s’enferme dans l’alignement avec les États-Unis, notamment sur la question des semi-conducteurs. .

Julien Buffet est un docteur français. titulaire en relations internationales.

Les opinions exprimées ici sont celles de l’auteur et ne représentent pas nécessairement les points de vue du China Daily et du site Web du China Daily.

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